Près d’un demi-siècle après sa naissance, et 30 ans après la première « guerre des étoiles », le système de géolocalisation par satellite GPS est en crise. Une modernisation amorcée il y a près de 25 ans traîne la patte. Et les concurrents chinois, russe et européen sont parfois plus avancés.

Précision et délai

Le principal problème du réseau de Positionnement global par satellite (GPS) développé par l’armée de l’air américaine est sa vulnérabilité au brouillage, selon Daniel Goldin, ancien grand patron de la NASA qui a publié un essai alarmiste sur la question l’été dernier dans la revue CMC Electronics. Par exemple, en temps de guerre, des avions militaires américains pourraient se retrouver aveugles. Il serait aussi possible pour des pays ennemis d’interférer avec les usages civils du GPS, par exemple les applications pour téléphones et les systèmes de navigation et de repérage antivol des voitures.

« Le département de la Défense a perdu de vue sa priorité pour le GPS, une capacité de navigation militaire résistante aux attaques informatiques et au brouillage, explique M. Goldin, qui est ingénieur. On connaît ces vulnérabilités depuis 1995. Mais les plans actuels ne prévoient la fin de la modernisation qu’en 2035. »

PHOTO TINGSHU WANG, REUTERS

Un homme et sa fille examinent une représentation du réseau mondial de positionnement BeiDou, de la Chine.

Cette inertie a permis à la Chine de terminer un réseau mondial qui pourrait être plus sécuritaire que le GPS, selon M. Goldin, et à l’Europe de mettre sur pied son système Galileo, qui est plus précis. « Des pilotes militaires utilisent parfois BeiDou [le système chinois] plutôt que le GPS », note-t-il.

Pour sa part, le système Galileo n’a pas de volet militaire avec cybersécurité renforcée, contrairement au GPS et aux systèmes chinois et russe (Glonass). « Avec le GPS, il y a un signal militaire qui est sécuritaire, et un signal public qui ne l’est pas », explique Kalifa Goïta, géomaticien à l’Université de Sherbrooke. « Le problème, c’est que le signal militaire ne suffit pas pour le positionnement, alors il faut utiliser aussi le signal public. La modernisation du GPS militaire permettra d’éviter d’utiliser le signal public. »

La précision d’un système de positionnement dépend de son algorithme de réception des signaux, mais aussi des horloges à bord des satellites. La synchronisation de tous ces paramètres peut prendre quelques secondes, cruciales pour la conduite autonome de véhicules. Il y a 20 ans, ce délai était de l’ordre de la minute.

Les concurrents

BeiDou

IMAGE FOURNIE PAR L’AGENCE SPATIALE EUROPÉENNE

Un satellite BeiDou

L’été dernier, la Chine a lancé le dernier des 30 satellites de son réseau mondial de positionnement, qui est précis à 10 cm, contrairement à 30 cm pour le GPS. Un rapport gouvernemental américain s’inquiétait en 2019 que la Chine construise une « Route de la soie spatiale » grâce à BeiDou.

Glonass

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Un satellite Glonass

La Russie a rapidement comblé un retard de 10 ans avec le GPS en finissant sa constellation de satellites de positionnement en 1995. Mais les difficultés financières et politiques russes ont ralenti le développement de Glonass qui, il y a 20 ans, était cinq à six fois moins précis que le GPS. Ses 24 satellites lui donneraient maintenant une précision comparable, de l’ordre de 30 cm pour les derniers récepteurs, selon un article paru l’an dernier dans la revue IEEE Explore, de l’Institut des ingénieurs électriques et électroniques.

Galileo

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Un satellite Galileo

Opérationnel depuis 2016, le système européen aurait une précision de l’ordre du centimètre, donc bien meilleure que celle de ses concurrents, selon IEEE Explore. Les 2 derniers de ses 24 satellites opérationnels devraient être lancés cette année. Selon une étude publiée l’an dernier par le Centre de compétence de la puissance aérienne interarmées (JAPCC) de l’OTAN, combiner les signaux GPS et Galileo permettrait d’améliorer la sécurité et la résistance au brouillage. De plus en plus d’appareils commerciaux combinent les signaux de la centaine de satellites de positionnement des quatre réseaux mondiaux.

La guerre des étoiles

C’est le surnom que donnent les historiens militaires à la guerre du Golfe en 1991, la première où les États-Unis ont profité de la précision du réseau GPS pour diriger leurs bombes et missiles et orienter leurs troupes dans le grand mouvement qui a anéanti les divisions blindées de Saddam Hussein. Aujourd’hui, la guerre des étoiles se conjugue plutôt en matière de résistance au brouillage, voire de capacité des satellites militaires à éviter les missiles ennemis. Autre piste pour résister aux capacités antisatellites chinoises : en 2019, l’agence de recherche militaire américaine DARPA a organisé une compétition pour accélérer le rythme de lancement de satellites à quelques jours, plutôt que quelques mois, compétition qui a attiré 55 entreprises.

L’histoire du GPS

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En 1983, des chasseurs soviétiques ont abattu un avion de ligne sud-coréen en Sibérie, faisant 269 morts.

Les recherches américaines sur le positionnement par satellite ont commencé à la fin des années 1960, avec un premier réseau militaire 10 ans plus tard. En 1983, après que des chasseurs soviétiques eurent abattu un avion de ligne coréen qui avait commis une erreur de navigation, faisant 269 morts, le GPS a été rendu accessible aux utilisateurs civils, mais avec une précision moins grande. Cette différence de précision des réseaux militaires et publics a été abolie en 2000.

La géolocalisation en chiffres

40 %

C’est la proportion des erreurs de positionnement de tous les systèmes de géolocalisation par satellite qui est attribuable aux horloges internes

1 milliard US

Pertes estimées dans le monde en raison d’une panne d’une journée du système GPS

20 %

Les applications sur téléphones portables sont responsables de 20 % des gains économiques attribuables aux systèmes de géolocalisation par satellite depuis 2010.

Sources : IEEE Explore, NIST