« Fou », « abusif », « prédateur », « du hold-up »… Le prix des nouveaux médicaments est dénoncé de plus en plus vertement. Voici pourquoi et comment les autorités contre-attaquent. Voici aussi quels sont les plus chers.

Les gouttes à 100 000 $

« Maman, je ne veux pas devenir aveugle… »

Quand la peur et la souffrance ont envahi Lucas, il s’est recroquevillé sur le divan pour mieux protéger ses yeux clos. Les rideaux rouges étaient pourtant tirés. Le salon était sombre. « La douleur était comme des aiguilles », explique sa mère, Natacha Dubey.

Quelques minutes plus tôt, cramponné à son bras, le garçon de 11 ans avançait à tâtons dans le quartier Villeray. « Même avec ses lunettes de soleil, la lumière extérieure était trop forte. L’autre jour, il en a eu besoin pour regarder le hockey à la télévision… »


PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Natacha Dubey et son fils Lucas

Depuis la petite enfance, Lucas a besoin de gouttes toutes les deux heures pour éliminer les cristaux qui attaquent sa cornée. Sa maladie héréditaire, la cystinose, le force à prendre une dizaine de médicaments, car elle emprisonne aussi des déchets dangereux dans ses reins, son cerveau, ses muscles.

Le CHU Sainte-Justine lui fournissait des gouttes artisanales, puisqu’il n’en existait pas sur le marché. Mais tout a basculé en septembre, quand une société pharmaceutique a fait approuver des gouttes beaucoup plus simples à utiliser, dûment testées lors d’essais cliniques. Plus besoin de garder celles-ci congelées en tout temps ni de les mettre aussi souvent.

Prix : 104 000 $ par an.

Celles de Sainte-Justine coûtaient environ mille fois moins. « Cent mille dollars, c’est plus que notre salaire familial ! s’indigne Natacha Dubey. L’arrivée des nouvelles gouttes aurait dû être une fête ; c’est rendu un cauchemar… »

Les hôpitaux ne peuvent plus offrir des remèdes maison à partir du moment où un fabricant en commercialise. Lucas en a donc été privé deux semaines. L’assureur de Mme Dubey a finalement accepté de les payer. Mais les assureurs d’autres patients ont refusé de le faire. Et les familles couvertes par le régime public attendent la décision du gouvernement depuis déjà quatre mois.

« Une dynamique prédatrice »

De plus en plus souvent, les prix sont jugés indéfendables.

Le désespoir est une mine d’or, analyse André-Pierre Contandriopoulos, professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal. « À travers la peur qu’inspire le cancer, les multinationales voient une possibilité infinie d’augmenter les prix. »

« On est dans une dynamique de plus en plus prédatrice », renchérit Marc-André Gagnon, spécialiste en politiques de santé à l’Université Carleton.

Les médicaments brevetés traditionnels – qui soignent des maladies courantes – coûtent entre 100 et 1000 $ par année. Pour se procurer le plus cher au monde, Zolgensma, le Québécois moyen devrait verser la totalité de son salaire annuel pendant… 70 ans.

Pourquoi cet écart vertigineux ? Tout a changé avec l’arrivée de traitements de niche, destinés à des sous-groupes de patients partageant des traits génétiques précis. Plusieurs sont fabriqués à base d’organismes vivants – enzymes, cellules génétiquement modifiées ou virus transporteurs d’ADN. Ils soignent des maladies héréditaires rares et graves, et aussi des cancers, de façon ciblée et personnalisée.

Le coût annuel des traitements

Contre les maladies chroniques : 100 $ à 10 000 $

Contre les maladies complexes : 5000 $ à 250 000 $

Contre les maladies rares : 100 000 $ à 500 000 $

Thérapies géniques ou cellulaires : 350 000 $ à 1 million

Source : Express Scripts Canada Prescription Drugs trend Report, 2018

« Il s’agit parfois d’avancées extraordinaires, affirme le professeur Marc-André Gagnon, mais s’ils sont inabordables, aussi bien ne pas les avoir inventés. »

Pire, certains fabricants exagèrent l’efficacité de leurs produits, dénonce un mémoire déposé l’an dernier devant le Comité permanent de la santé de la Chambre des communes. « Beaucoup de sociétés pharmaceutiques manipulent les médecins et le public », y écrit l’Alliance pancanadienne pharmaceutique, qui négocie les prix pour les provinces.

Le regroupement est inquiet à l’idée que le système s’écroule, puisque le coût de médicaments bien connus explose aussi en parallèle.

800 %

Augmentation du coût des 10 traitements les plus vendus en 10 ans (de 2007 à 2017) selon une analyse de Desjardins publiée en novembre

Économiser ailleurs

Les médicaments coûtent cher, mais ils permettent d’économiser ailleurs, rétorque l’industrie. « Ils évitent des hospitalisations et des chirurgies », expose Yves Rosconi, qui a dirigé plusieurs sociétés pharmaceutiques et a participé à la mise en marché de médicaments en oncologie, cardiologie et infectiologie.

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Yves Rosconi, ancien dirigeant de sociétés pharmaceutiques

Il faut regarder ça de façon globale, considérer non seulement les coûts médicaux de la maladie, mais aussi ses coûts sociaux, pour les familles, les employeurs.

Yves Rosconi, ancien dirigeant de sociétés pharmaceutiques

Autre argument : les gouttes à 100 000 $ obtenues par Lucas peuvent servir à seulement 80 autres personnes au Québec, car leur maladie est très rare. Le prix des gouttes est élevé pour amortir les coûts de recherche et développement, plaide par courriel la société italienne qui les fabrique, Recordati.

« Récupérer ces coûts est essentiel pour soutenir les futurs efforts d’innovation », écrit-elle, en précisant que le prix officiel « n’est pas ce qui est réellement payé », puisque les régimes publics ont négocié des remises secrètes.

Mais combien coûtent la recherche et le développement au juste ? Les estimations des différents chercheurs vont de 300 millions US à 2,6 milliards US…

Chose certaine, les laboratoires pharmaceutiques récupèrent jusqu’à 10 fois leur mise en quelques années, concluent plusieurs études citées par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et par le regroupement des régimes publics d’assurances. « [Ils] tentent d’obtenir le montant maximum que l’acheteur est disposé à payer », conclut l’OMS dans un rapport de 2018.

Horizon Therapeutics – dont les produits traitent l’arthrite, la douleur et l’inflammation – brosse un tout autre portrait dans son mémoire au Comité permanent de la santé. « La plupart des recherches biopharmaceutiques, dit-elle, comportent d’énormes risques d’investissement et se soldent par un échec. »

Un miracle lié à l’UdeM

Les vrais risques sont pris par les universités ou par leurs chercheurs, assurent les critiques de l’industrie. Ils font eux-mêmes la recherche fondamentale exploratoire - aux résultats très incertains - qui sert ensuite de tremplin aux découvertes concrètes. « Les pharmas leur rachètent les traitements prometteurs », ajoute le professeur Marc-André Gagnon, de l’Université Carleton.

Des chercheurs de l’Université de Montréal (UdeM) ont pour leur part fondé une petite entreprise pour mettre au point un remède quasi miraculeux. Des enzymes pénètrent les os de bébés nés avec un squelette translucide en raison d’une maladie héréditaire rarissime (l’hypophosphatasie). Le traitement leur sauve la vie en permettant à leurs os de se minéraliser. Il évite aussi des fractures et douleurs intenses aux malades touchés moins gravement.

PHOTO FOURNIE PAR LE NEW ENGLAND JOURNAL OF MEDICINE

Radiographies des os de la main d’un garçon souffrant d’hypophosphatasie, à 20 jours et 24 semaines après avoir commencé un traitement. Source : New England Journal of Medicine

Leur petite biotech, Enobia Pharma, a reçu du financement du Fonds de solidarité FTQ, du Mouvement Desjardins et d'autres investisseurs. Elle a aussi bénéficié de crédits d’impôt, souligne le professeur Gagnon.

Mais 12 ans plus tard, la plupart des contribuables canadiens n’ont toujours pas accès au traitement révolutionnaire qu’ils ont partiellement financé, tandis que certains investisseurs et actionnaires américains et canadiens ont empoché des millions.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’UNIVERSITÉ CARLETON

Marc-André Gagnon, professeur à l’Université Carleton

Comment est-ce possible ? Avant la phase finale des essais, en 2012, le fabricant américain Alexion a acheté les brevets d’Enobia Pharma pour près d’un milliard de dollars. Trois ans plus tard, ses dirigeants lançaient à prix d’or le médicament né à Montréal.

Selon les données de l'INESS, traiter un adulte coûte plus de deux millions.

Par année.

« La valeur d’Alexion a explosé et le président qui était en poste a reçu une rémunération record [environ 50 millions] », précise M. Gagnon.

Partout dans le monde, on vend même des découvertes largement faites avec des fonds publics, déplore le professeur Gagnon. Aucun des nouveaux médicaments approuvés aux États-Unis de 2010 à 2016 n’aurait vu le jour sans la contribution du gouvernement, ont révélé des chercheurs en 2018.

Le traitement le plus cher au monde, Zolgensma – qui corrige un gène défectueux –, a été conçu dans le laboratoire d’une association française de malades et de parents, AMF-Téléthon, financé grâce aux dons du grand public. Depuis sa mise en marché aux États-Unis, cette thérapie génique rapporte 60 % plus que prévu à Novartis, qui en a acheté les droits. 

Traitement à un million au Saguenay

Après avoir frôlé deux fois la mort, la psychologue Cynthia Turcotte a marqué l’histoire en recevant au Saguenay la première thérapie génique jamais approuvée en Occident, Glybera. Prix de vente lors de son lancement européen en 2012 : un million d’euros.

À l’âge de huit mois, alors que sa famille vivait sur la Côte-Nord, la résidante de Saint-Bruno-de-Montarville s’était mise à vomir sans arrêt. « Les médecins avaient dit à ma mère qu’il me restait 24 heures à vivre. Le sang qu’ils avaient prélevé était blanc ! »

Des spécialistes du CHU de Québec ont compris à temps qu’une maladie héréditaire rare (le déficit familial en lipoprotéine lipase) empêchait Cynthia Turcotte de métaboliser des graisses essentielles, les triglycérides, et ravageait son pancréas.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Cynthia Turcotte

Pendant plus de 30 ans, la jeune femme a évité le pire en suivant une diète draconienne qui la laissait faible et affamée. Puis, nouvelle crise, incompréhensible. « C’était comme une coulée de lave dans mon corps ; je hurlais, dit-elle. Quand le médecin a fini par regarder les résultats de tests, il a sauté de sa chaise. »

C’est ce qui l’a conduite à tester le Glybera sous la supervision du médecin chercheur Daniel Gaudet. Dix ans plus tard, Cynthia Turcotte n’a plus subi de crise. Elle a eu le bonheur de devenir maman deux fois – un miracle lorsqu’on a sa maladie. Mais les effets du traitement commencent à s’estomper.

Une fois sur deux, les bénéfices disparaissent assez vite, en cinq ans, précise DGaudet, affilié à l’UdeM. Quand l’entreprise qui était propriétaire de la thérapie génique a décidé de le vendre un million d’euros, il était donc ébahi. L’entreprise voulait amortir ses pertes – puisque faire approuver le traitement en Europe avait été interminable et ruineux. « Mais je leur ai dit que leur prix était presque fou pour un traitement non curatif, qu’aucun payeur n’accepterait ça. »

La prédiction du Dr Gaudet s’est concrétisée. Cinq ans après son lancement, le traitement avait été acheté une seule fois, en Allemagne. En 2017, il a été retiré du marché.

900 millions en dons

Le Dr Daniel Gaudet comprend bien les difficultés des fabricants, puisqu’il pilote des essais pour des petites biotechs et des pharmaceutiques de taille moyenne.

« Des études cliniques ont été terminées prématurément, parce que le développeur a conclu que son médicament ne serait pas remboursé », rapporte-t-il.

Les fabricants doivent fournir leur traitement gratuitement aux malades qui participent aux essais cliniques et « ils sont très, très mal vus s’ils arrêtent de le faire ensuite », explique le médecin chercheur. « De leur point de vue, ils n’ont alors que des dépenses et aucun revenu. »

Une quarantaine de fabricants ont consacré 900 millions à des programmes de soutien en 2016, pour aider 673 000 Canadiens à accéder aux thérapies non remboursées, indique un rapport de leur association, Médicaments novateurs Canada.

Objectif : éviter à certains patients de mourir avant que le gouvernement ne se décide à rembourser ou non le traitement dont ils ont besoin. Le fabricant d’un anticancéreux à 81 000 $ l’a par exemple offert sans frais à 37 patients du CHU de Québec l’an dernier.

Le CHU Sainte-Justine a déjà refusé une proposition semblable, parce que le fabricant voulait donner son traitement contre une maladie rare à un nombre limité de patients. « C’était premier arrivé, premier servi ! On devait les choisir à la hâte, sans balises, dénonce le chef pharmacien Jean-François Bussières. On n’a pas voulu cautionner l’iniquité, l’aberration, le palmarès, la loterie... »

Une autre société, Novartis, a fait pire encore, dit-il. En décembre, elle a annoncé qu’elle ferait tirer à travers le monde 100 doses de sa thérapie à 2,8 millions CAN, qui peut sauver la vie de centaines de bébés. Les perdants seront environ 10 fois plus nombreux que les gagnants.

« Comment envisager un instant que la vie d’un enfant puisse être le gros lot d’une loterie ? », s’est indigné en France le directeur d’AMF-Téléthon, l’association de malades et de parents qui a largement financé la mise au point du traitement.

Le bioéthicien Bryn Williams-Jones, professeur à l’UdeM, ne croit pas à la générosité des pharmaceutiques : « Le fabricant qui donne son médicament fait du marketing et de la politique, dénonce-t-il. Ça fait partie de sa stratégie pour tordre le bras au gouvernement ! »

Médicaments novateurs Canada a écrit à La Presse : « En tant qu’association, nous ne sommes pas en mesure d’émettre de commentaires sur les pratiques individuelles et commerciales de nos membres ».

Notes et sources

Revenu du québécois moyen : le salaire annuel moyen au Québec est d’environ 39 500 $, tandis que le Zolgensma est vendu aux États-Unis l’équivalent de 2,8 millions $ CAN.

Coûts moyens de la recherche et du développement : 648 millions, selon une étude portant sur 10 anticancéreux et publiée dans JAMA Internal Medicine, en 2017 (« Research and Development Spending to Bring a Single Cancer Drug to Market and Revenues After Approval »), contre 2,6 milliards selon une étude publiée dans Journal of Health Economics en 2016. Mais ce dernier montant a été calculé à partir de données secrètes, fournies par des fabricants restés anonymes.

Rentabilisation des coûts de la recherche et du développement : « Pricing of Cancer Medicines and Its Impacts », 2018, Organisation mondiale de la santé

Contribution des fonds de recherche américains à la création de médicaments : «Contribution of NIH funding to new drug approvals 2010–2016», 2018, Proceedings of the National Academy of Sciences

Contribution économique de l’industrie : « Analyse de données et empreinte et retombées économiques des membres au Canada », 2017, Médicaments novateurs Canada

« An assessment of Canada’s current and potential future attractiveness as a launch destination of innovative medicines », 2019, Médicaments novateurs Canada

Des PDG multi-millionnaires

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Les dirigeants de laboratoires pharmaceutiques vendent leurs médicaments à des prix exorbitants pour gonfler leur fortune personnelle, accuse la plus grande association professionnelle d’infirmières aux États-Unis, la National Nurses United (NNU), dans un rapport intitulé Fortunes scandaleuses.

Plus la valeur de l’action augmente dans l’année, mieux les hauts dirigeants seront rémunérés. Hausser les prix leur permet de faire grimper le titre, expose le rapport, publié en 2016 par le service de recherche de l’association (1).

Les patients ne devraient pas être forcés de payer des prix astronomiques pour des médicaments vitaux afin qu’un chef d’entreprise reçoive un boni scandaleux.

Extrait du rapport Fortunes scandaleuses

Quatre cadres de l’industrie ont eux-mêmes confié – sous le couvert de l’anonymat – que les prix avaient monté sans autre raison que la maximisation des profits, pour plaire aux actionnaires, rapporte une nouvelle étude publiée en novembre (2).

Autre raison inavouée : « On ne peut pas demander moins [que les concurrents pour nos nouveaux traitements], a dit l’un d’eux. Ça serait dire que notre produit est moins efficace, qu’on le valorise moins. Il faut demander plus. »

Quand l’association d’infirmières a publié son rapport, le prix de l’EpiPen – qui évite la mort en cas d’allergie grave – venait de bondir de 500 % sur une période de sept ans. Et des cadres de la société Horizon Pharma occupaient 5 places sur 20 au palmarès des dirigeants les mieux payés de l’industrie entière. À lui seul, son PDG avait empoché 93 millions US.

À la Chambre des communes l’an dernier, la même entreprise a argué que les prix étaient élevés pour éponger les coûts de recherche et les pertes.

Faut-il lancer la pierre ? « Ça choque, mais on est complices, commente le secrétaire du Collège des médecins du Québec, le Dr Yves Robert. Les fonds de pension investissent dans les pharmaceutiques, et c’est grâce à leurs énormes profits qu’on pourra se payer une retraite… »

(1) « Outrageous Fortunes : Pharma Executives Cash-In on High Drug Prices », Institute for Health and Socio-Economic Policy, 2016

(2) « Qualitative study on the price of drugs for multiple sclerosis », Neurology, 2019

Des solutions au casse-tête

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Freiner l’explosion des coûts en médicaments est un casse-tête, puisqu’on affronte des multinationales. Voici comment le Québec et le Canada s’y attaquent.

Obtenir des rabais

« On négocie les prix des médicaments intensément et on a obtenu des rabais substantiels », rapporte Dominic Bélanger, qui dirige par intérim les affaires pharmaceutiques au ministère de la Santé du Québec. En 2018-2019, 536 millions de dollars sont ainsi revenus dans les coffres du gouvernement, soit 9 % de la facture totale (dépenses des établissements additionnées à celles de la RAMQ).

« Les prix obtenus par la négociation demeurent largement injustes, excessifs et non rentables », conclut tout de même l’Alliance pancanadienne pharmaceutique, qui négocie les prix pour les provinces, dans un mémoire présenté à la Chambre des communes.

Les rabais accordés pour un traitement précis sont par ailleurs confidentiels et ne profitent pas aux régimes privés, déplore l’Association canadienne des assurances de personnes, qui réclame de participer.

Obtenir des garanties

Le fabricant du traitement le plus cher au monde, Novartis, a déclaré qu’il était prêt à accepter des paiements échelonnés sur cinq ans. Prêt aussi à rendre ces paiements conditionnels aux résultats.

« Le prix devrait être lié à la livraison de résultats cliniques », approuve Yves Rosconi, qui a dirigé plusieurs sociétés pharmaceutiques. Il a déjà utilisé une approche semblable lorsqu’il a lancé un traitement contre le cancer du sein. Chaque fois que le produit ne fonctionnait pas chez une patiente, il « remboursait » l’hôpital en lui fournissant une quantité équivalente de produits, donnée sans frais aux patientes qui répondaient au traitement.

Attirer des essais cliniques

À Saguenay, le médecin chercheur Daniel Gaudet enrôle dans des études des dizaines de personnes atteintes de maladies rares ou très graves. « Ça permet de les traiter gratuitement, pendant des années, avec des médicaments qui ne sont pas encore commercialisés ou remboursés. »

Dix-neuf Québécois ont ainsi reçu la première thérapie génique approuvée en Occident – Glybera –, qui traitait une maladie du métabolisme des gras et était vendue 1,2 million CAN en Europe. « Le gouvernement a donc économisé 25 millions à 30 millions de dollars », calcule le Dr Gaudet, chercheur affilié à l’UdeM, convaincu que multiplier ce genre d’expériences permettrait d’économiser un milliard de dollars par an.

Il faudrait demander aux fabricants que les produits testés au Québec y soient offerts à un tarif préférentiel après leur mise en marché, dit-il. Et qu’une partie des profits soient réinvestis en R & D.

Éliminer le gaspillage

On pourrait économiser quelques milliards en s’attaquant aux prescriptions inutiles, aux tests superflus, aux mauvais diagnostics – bref, au gaspillage –, évaluent plusieurs organismes. Cela permettrait de dégager des sommes importantes pour traiter plus de gens. « Le coût, c’est un continuum, confirme Dominic Bélanger du MESSS. […] On essaie d’infléchir les tendances de mauvaise utilisation. »

Attaquer les brevets

Pour encourager les découvertes, le Canada a renforcé la protection des brevets pharmaceutiques il y a 30 ans. « Mais on peut s’interroger sur leur bien-fondé, puisqu’ils portent sur un bien qui peut faire une différence entre la vie et la mort », dit le professeur André-Pierre Contandriopoulos, de l’École de santé publique de l’UdeM.

Le fabricant automobile Volvo a par exemple laissé la ceinture de sécurité moderne libre de droits. Tandis que les Canadiens ayant découvert l’insuline ont cédé leurs brevets à l’Université de Toronto.

Certains brevets pharmaceutiques sont au contraire sans cesse prolongés grâce à toutes sortes de manœuvres. D’autres sont rachetés aux compétiteurs, pour éviter qu’ils ne lancent des produits concurrents. « lls vont traîner sur des tablettes et personne ne pourra utiliser les technologies concernées, dit Yan Défossés, qui milite depuis le diagnostic de son fils cadet. Pendant ce temps, des gens meurent et la situation ne semble pas émouvoir les actionnaires… »

En décembre, revirement. Médecins du monde s’est opposé à l’un des brevets de Novartis sur une thérapie génique contre le cancer, Kymriah. La société l’a révoqué sans se battre, ce qui ne permet pas de copier son traitement, mais de développer des versions proches à moindre coût.

Confier toute la recherche à l’État

Le gouvernement doit financer complètement la création des médicaments – de la recherche fondamentale, jusqu’à l’approbation –, estime l’économiste américain Dean Baker, du laboratoire d’idées (think tank) progressiste Center for Economic and Policy Research. Cette réforme coûterait de 50 à 80 milliards par an, mais permettrait – d’après ses calculs – d’en économiser au moins cinq fois plus en évitant les monopoles. L’économiste est l’un des premiers à avoir sonné l’alarme contre la bulle immobilière à l’origine de la récession de 2007.

Il y a cinq ans, Québec solidaire proposait de créer un organisme public, Pharma Québec, qui investirait 5 % de son budget dans le développement de nouveaux produits. En plus d’« implanter et exploiter des installations de production de médicaments génériques et de vaccins ».

Un projet fantaisiste, d’après le médecin chercheur Daniel Gaudet. « On ne fait plus seulement des pilules et des capsules, mais des biomédicaments. Ça prend une trop grande capacité de manufacture, il y a trop de plateaux techniques possibles. »

Créer une assurance nationale

Le gouvernement fédéral a promis d’implanter un régime universel d’assurance médicaments. « On aurait une centrale d’achats et donc un meilleur pouvoir de négociation, applaudit le professeur Contandriopoulos. Le même médicament peut coûter 10 fois moins cher dans d’autres pays. Ne se ferait-on pas avoir ? »

Le projet permettrait d’économiser 300 millions, d’ici deux ans, et 5 milliards, d’ici sept ans, selon un rapport publié en juin dernier par le Conseil consultatif sur la mise en œuvre de ce régime.

Mais il faudrait quand même rationner l’accès aux nouveaux médicaments et traitements, prédit une analyse de Desjardins publiée en novembre.

Les provinces refuseront probablement de laisser le gouvernement fédéral décider à leur place quels médicaments rembourser et comment, dit la même analyse. Ottawa a promis plusieurs fois de créer un tel régime et n’est jamais allé de l’avant encore.

Dépenses de médicaments au Canada

1985 : 2,6 milliards

2018 : 34 milliards

2028 : 50 milliards

Source : Institut canadien d’information sur la santé (ICIS)

Plafonner les prix

Une poignée de Québécois importent un médicament du Japon pour ralentir la progression de leur maladie dégénérative, la SLA. L’acheter en Asie coûte seulement 8000 $ par an, disent-ils, soit infiniment moins qu’au Québec, où il n’est pas couvert, vu son prix.

Les prix des médicaments canadiens sont en moyenne troisième parmi les plus élevés au monde, même si un organisme fédéral est chargé de le plafonner. Pour remplir son mandat, le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (CEPMB) compare le Canada à sept pays, dont les États-Unis – qui affichent des prix record. Pour mieux refléter la réalité canadienne, il changera donc ses points de référence et sa méthode de calcul en juillet prochain, en vertu d’un nouveau règlement.

L’industrie conteste ce changement devant la Cour fédérale. Dans un courriel envoyé à La Presse, Médicaments novateurs Canada écrit aussi que les efforts pour réduire les prix « limiteront l’accès des patients canadiens aux nouveaux médicaments novateurs et décourageront les investissements ».

Les traitements les plus chers et leurs fabricants

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Traitements assurés qui combattent des maladies héréditaires rares

760 000 $ par année*
JUXTAPID (Aegerion)
Pour traiter l’augmentation du mauvais cholestérol dans leur sang dès la naissance. Cette maladie, l’hypercholestérolémie familiale homozygote, peut tuer avant l’âge de 20 ans.

610 000 $ par année
MYOZYME (Genzyme Canada)
Pour traiter des problèmes cardiaques, respiratoires et moteurs qui résultent de l’accumulation anormale d’une substance dans les tissus. Sa forme grave tue des bébés (maladie de Pompe).

354 000 $ par année (mais le double la première année)
SPINRAZA (Biogen)
Pour traiter le manque d’une protéine vitale pour la survie des cellules qui contrôlent les mouvements (motoneurones). Cette maladie, l’amyotrophie spinale 5q (SMA), cause graduellement la paralysie et peut tuer en quelques mois ou en quelques années.

341 779 $ par année
RAVICTI (Horizon)
Pour traiter l’accumulation anormale d’ammoniaque dans le sang, susceptible de causer des convulsions, des troubles psychiatriques, un retard mental et un coma.

Traitements assurés qui combattent le cancer

500 000 $ environ par traitement complet
KYMRIAH (Novartis), la toute première thérapie génique approuvée au Canada
Pour traiter, en dernier recours, la leucémie lymphoblastique aiguë et le lymphome diffus à grandes cellules B, associés à un faible taux de survie.

280 000 $ par traitement complet
DARZALEC (Janssen) en association avec la lénalidomide ou le bortézomib
Pour traiter le myélome multiple réfractaire et récidivant.

101 000 $ par traitement complet
IMFINZI (AstraZeneca)
Pour traiter le cancer du poumon, comme traitement d’entretien.

92 000 $ ou 44 000 $ par traitement complet
KEYTRUDA (Merck) Pour traiter le cancer du poumon non à petites cellules métastatiques et le mélanome métastatique.

81 000 $ par traitement complet
OPDIVO (B.M.S.)
Pour traiter un mélanome opéré, pour prévenir ou repousser sa réapparition.

Traitements jugés trop onéreux pour être assurés

2 500 000 $ par année
STRENSIQ (Alexion)
Pour traiter la fragilité extrême des os ou leur quasi-absence, causées par un problème de minéralisation. Cette maladie rarissime, l’hypophosphatasie, tue les plus gravement atteints peu après leur naissance et entraîne des fractures ou la chute des dents chez les moins atteints.

844 000 $ par année
BRINEURA (BioMarin)
Pour traiter l’accumulation anormale de débris de cellules dans le cerveau d’enfant, ce qui cause la démence, la paralysie et la cécité. La maladie de Batten tue en quelques années.

560 000 $ par année
VPRIV (Shire)
Pour traiter l’accumulation anormale, dans les cellules, d’une substance qui cause des saignements, des douleurs osseuses, etc. La maladie de Gaucher de type 1 peut causer la mort.

540 000 $ par année
SOLIRIS (Alexion)
Pour traiter trois maladies graves. L’an dernier, le CHU de Québec a assumé les frais pour 19 patients : 16 souffrant de SHU atypique (qui cause la formation de caillots sanguins potentiellement mortels), 1 souffrant d’ hémoglobinurie paroxystique nocturne (qui détruit les globules rouges et condamne aux transfusions) et 2 souffrant de des glomérulonéphrites à complément (qui peut endommager les reins).

420 000 $ par année
TEGSEDI (Akcea Therapeutics)
Pour traiter l’accumulation d’une protéine défectueuse dans les nerfs et dans plusieurs organes. L’amylose héréditaire à transthyrétine peut causer la mort.

Quelques médicaments contre le cancer coûtant de 168 000 $ à 242 000 $ ne sont pas assurés non plus.

Le cancer coûte cher

Les dépenses en anticancéreux ont atteint un niveau record dans les hôpitaux du Québec en 2018-2019, augmentant de 40 % en une seule année pour s’établir à 405 millions, révèlent les statistiques du ministère de la Santé et des Services sociaux obtenues par La Presse. L’explosion a plusieurs causes. Le coût moyen des anticancéreux a presque doublé en 10 ans (1). Les provinces doivent par ailleurs en acheter presque trois fois plus qu’avant. Le nombre de malades augmente, et on est maintenant en mesure de leur offrir plusieurs traitements de suite, explique Marie-Claude Racine, chef de la pharmacie au CHU de Québec. « Les patients restent plus longtemps avec nous, dit-elle, et c’est ce qu’on souhaite. »

(1) Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés, 2019

Les prix sont tirés des avis de l’INESSS ou de son équivalent canadien, l’ACMTS. Quand la dose requise dépend du poids, nous avons retenu le coût du traitement pour un adulte d’au moins 70 kg. Les rabais qu’a pu obtenir le ministère de la Santé en négociant restent confidentiels. Les informations ont été validées par des membres de l’Association des pharmaciens en établissement et par le Regroupement québécois pour les maladies rares.

RECTIFICATIF

La version précédente de cet article indiquait que le médicament révolutionnaire Strensiq était né à l’UdeM. Des chercheurs de l’UdeM l’ont en fait mis au point dans le laboratoire de leur petite biotech, Enobia Pharma, qui n’appartenait pas à l’université, bien qu’elle ait temporairement occupé des locaux de l’institution. L’UdeM les a aidés à lancer leur entreprise, mais n’a pas financé le développement de leur traitement.

Le Dr Philippe Crine, qui dirigeait Enobia Pharma, assure qu’Enobia a reçu des crédits d’impôts bien moins importants que ce qu’a estimé le professeur Marc-Andre Gagnon. Le Dr Crine n’avait pas vu le courriel que La Presse lui avait envoyé pour solliciter une entrevue six jours avant publication.

Par ailleurs, le nombre de maladies (et donc, de patients) traitées avec le Soliris au CHU de Québec, a été corrigé.