Zac, un petit garçon de Repentigny, a reçu le traitement le plus cher du monde – une thérapie génique vendue près de 3 millions de dollars. De plus en plus de traitements coûtent une fortune et le gouvernement craint la ruine. Parmi les Québécois, qui aura droit aux nouveaux traitements révolutionnaires ? Qui en sera privé ?

Le virus s’est vite répandu dans les neurones de Zac. Un virus soigneusement reprogrammé pour transporter un gène afin de le délivrer de la paralysie. Un virus vendu 2,8 millions de dollars.

À 3 ans, le petit garçon de Repentigny a obtenu le traitement le plus cher du monde. Seul un autre enfant canadien – inconnu du public – a aussi eu cette chance.

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Le traitement porte la même initiale que Zac : Z pour Zolgensma. Il a sauvé des tout-petits d’une maladie héréditaire sournoise – l’amyotrophie spinale – qui détruit leurs muscles et les tue. Parfois à petit feu, parfois de façon fulgurante. Zac a reçu une injection en participant à un essai clinique américain l’an dernier. Gratuitement.

Lorsqu’ils ont appris que leur enfant unique était choisi, sa mère et son père ont laissé couler leurs larmes. 

Ils ont pris seulement 27 enfants sur la planète dans cet essai. On venait de gagner à la loterie de la vie.

Valérie Beaulieu, mère de Zac

Son conjoint, Carl Lastufka, a enfin taillé la longue barbe qu’il laissait pousser depuis 20 mois, afin de signifier au monde que leur enfant était privé de traitement jour après jour – par l’État québécois, dit-il.

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Zac avec sa grand-maman

Aujourd’hui, Zac a 4 ans, chante et sourit tout le temps. Juché sur le comptoir entre ses parents, il propulse ses bras au-dessus de sa tête blonde avant d’annoncer à la ronde : « Je suis allé jusqu’à la lune ! »

La lune, Zac l’a même décrochée.

Un mauvais sort

Avant l’injection, le petit garçon peinait à porter la main à la bouche, et les médecins prédisaient que son cœur flancherait dans la vingtaine. Jusqu’à 10 mois, il s’était pourtant développé comme les autres bébés. Puis, comme s’il avait reçu un mauvais sort, ses forces l’ont quitté peu à peu. « Juste avant l’injection, ses orteils ne bougeaient plus et sa tête retombait ; elle était trop lourde », raconte Valérie Beaulieu.

Aujourd’hui, Zac exulte : il soutient tout son corps à quatre pattes, recule et s’assoit. « Je suis mille fois plus fière que quand il faisait les mêmes choses bébé ! J’ai les larmes aux yeux, je crie, je le fais tourner dans mes bras ! »

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Les progrès de Zac

« Non, on ne rembourse pas »

Le traitement de Zac est vendu aux États-Unis. Mais d’autres médicaments aux prix inouïs sont déjà offerts au Canada : 100 000 $, 500 000 $, 1 million… Ils soignent des maladies graves, rares, et des cancers. Sont de plus en plus sophistiqués. De plus en plus convoités. Et de plus en plus difficiles à obtenir.

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Donnés à temps, les plus spectaculaires ont fait pousser les os de bébés quasi dépourvus de squelette. Évité des greffes de foie ou de rein. Éradiqué des tumeurs.

Mais les obtenir est très souvent un combat.

La majorité des traitements très onéreux ne sont pas sur la liste des médicaments assurés au Québec ou dans le reste du Canada. Les médecins doivent convaincre les autorités de faire une exception.

La Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) a accepté environ 34 000 demandes de « patient d’exception » en 2018. Mais elle en a refusé presque 18 000 autres. Le taux de refus est en hausse, révèlent les statistiques compilées par la RAMQ pour La Presse

Le médecin chercheur Daniel Gaudet le sent.

On se heurte à un mur depuis un an et demi, parce que la facture totale serait astronomique si on traitait tout le monde. C’est impossible. Même quand le médicament fonctionne super bien, les payeurs commencent à nous dire : “Non, on ne rembourse pas.”

Daniel Gaudet, médecin chercheur

« Ce n’est pas par malveillance ; c’est pour protéger le bas de laine des citoyens du Québec. Mais ça crée des préjudices et ça va en créer de plus en plus », craint l’expert en génétique, qui est affilié à l’Université de Montréal (UdeM) et traite à Chicoutimi des gens atteints de maladies métaboliques complexes.

Certaines personnes, dit-il, se voient refuser des combinaisons de médicaments qui pourraient réduire leur risque d’infarctus.

Un abandon

« Se faire priver de soins quand un médicament existe, c’est encore plus traumatisant que l’annonce du diagnostic ! », s’indigne Yan Défossés, dont le fils Liam souffre – encore plus gravement – de la maladie dont est atteint Zac.

Avec d’autres parents, dont ceux de Zac, le résidant de Sorel a signé des pétitions, alerté des députés et des ministres. Infatigable, il lit tout : les lois, les règlements, les politiques qui concernent le médicament. Il a résumé des milliers de pages pour des avocats qui étudient le dossier.

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Yan Défossés et son fils Liam, atteint d’amyotrophie spinale

Parfois, chaque jour compte, mais le gouvernement trouve toutes sortes d’astuces pour ne pas payer. Pendant ce temps, des enfants cessent de respirer seuls et de manger seuls, et après, il est rendu trop tard pour que le médicament fasse une différence. Plus besoin de le payer…

Yan Défossés, père de Liam, atteint d’amyotrophie spinale

La mère de Zac, Valérie Beaulieu, est tout aussi outrée. Avant qu’elle emmène son fils aux États-Unis, on lui a refusé un autre traitement, qui aurait limité les dégâts (voir ci-dessous). « S’ils ne veulent pas payer pour certaines maladies, qu’ils le disent clairement et qu’ils les dépistent pendant la grossesse ! »

La ruine

Pourquoi ces refus ? Le gouvernement craint la ruine. Le prix ne doit pas être démesuré par rapport aux bénéfices, affirme Dominic Bélanger, qui dirige par intérim les affaires pharmaceutiques au ministère de la Santé du Québec. « On veut un produit qui aura une valeur pour le patient et aussi pour le système. »

« Plein de nouvelles molécules sortent à un demi-million et ne valent pas autant ! Ça n’a pas de sens », renchérit le chef pharmacien du CHU Sainte-Justine, Jean-François Bussières. « Si les États acceptent ça, ils n’envoient pas un bon signal à l’industrie. »

4,9 milliards

Coût des médicaments couverts par la RAMQ en 2018, en hausse de près de 1 milliard en cinq ans (+ 26 %) 

Source : Rapport d’activité 2018-2019

Depuis 2016, une circulaire du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) presse les établissements d’inclure « une appréciation économique » lorsqu’un professionnel demande un traitement onéreux.

« Il ne restera plus d’argent pour payer le personnel », écrit ainsi un médecin de la couronne nord dans un courriel obtenu par La Presse. Ce message était destiné à un résidant de CHSLD qui réclamait un médicament valant plusieurs centaines de milliers de dollars.

Mieux qu’ailleurs ?

« Le défi n’est pas propre au Québec, ni au Canada, c’est international », plaide Dominic Bélanger, du MSSS. Selon lui, l’accès est plus grand dans la province qu’ailleurs au pays.

« Ça peut prendre plusieurs échanges avec la RAMQ, mais la majorité de mes patients obtiennent le médicament que je leur prescris », dit l’endocrinologue John Mitchell, qui traite des jeunes atteints de maladies rares à l’Hôpital de Montréal pour enfants.

Depuis l’an dernier, le ministère de la Santé a rehaussé les budgets annuels aux hôpitaux de près de 120 millions pour financer l’achat de médicaments.

Le Québec dispense toutefois moins d’anticancéreux différents que quatre autres provinces, révèle un rapport publié en 2019 par le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés.

Une loterie

D’un endroit à l’autre, c’est surtout la loterie. « Certains médecins n’essaient même pas de faire une demande, affirme le père militant Yan Défossés. Ils servent d’interrupteurs. Leurs patients n’ont aucune chance. »

« Sauf parfois quand les gens poussent, contestent, dit-il. Et oups ! C’est renversé. »

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Gail Ouellette, présidente du Regroupement québécois des maladies orphelines (RQMO)

Le Regroupement québécois des maladies orphelines ne manque pas d’exemples. « Un spécialiste nous a appelés, hors de lui », raconte la généticienne qui préside l’organisme, Gail Ouellette. L’hôpital refusait de payer un médicament vital pour éviter à une patiente de graves problèmes neurologiques. « Elle a déménagé, et l’autre hôpital a accepté tout de suite ! »

Le secrétaire du Collège des médecins, le DYves Robert, confirme que ses membres voient des injustices : « Mais ils ne peuvent pas sortir à tout bout de champ dans les médias. »

Le manque d’uniformité a même été dénoncé dans des rapports officiels (1). « Il y a un énorme problème d’équité. […] C’est extrêmement préoccupant », s’inquiète François Paradis, président de l’Association des pharmaciens des établissements de santé. Car il n’y a pas de recette précise pour soupeser tous les facteurs pertinents, comme par exemple l’efficacité du remède, son impact budgétaire, l’équité entre les patients, etc. (voir texte suivant).

De l’Ontario à la Belgique, des parents tentent d’acheter eux-mêmes le médicament miracle du petit Zac en amassant des fortunes sur des plateformes comme GoFundMe.

Le fabricant, Novartis, a décidé d’en faire tirer 100 doses, en 2020, en pigeant au hasard parmi les demandes qu’il recevra du monde entier. « Ça risque de donner de faux espoirs, d’être dévastateur pour tous ceux qui ne seront pas pigés », prévient la mère de Zac, qui connaît déjà trois familles prêtes à tenter le coup. « Mais puisque c’est aléatoire, au moins, ça ne favorise pas la richesse, ça donne une chance aux enfants de pays défavorisés. »

Le professeur André-Pierre Contandriopoulos, de l’UdeM, craint qu’on bascule dans « un monde comme on en trouve dans les romans ».

« On ne peut pas laisser le 1 % des plus riches avoir accès à toutes sortes de thérapies qu’on dit miraculeuses, tandis que le reste de la population va mourir sans être traitée adéquatement. »

(1) INESSS 2012 et 2016, Commissaire à la santé et au bien-être du Québec 2015, rapport fédéral du Comité permanent de la santé, 2019

Le prix des refus

Zac pédale sur un vélo stationnaire. La maison lumineuse de ses parents ressemble parfois à un petit gymnase. On y trouve une dizaine d’appareils, dont un « verticalisateur », pour le tenir debout, deux chaises roulantes et deux marchettes. « Mais Zac aurait pu marcher sans aide, être un enfant normal », affirme sa mère, Valérie Beaulieu. Un an après le diagnostic du garçonnet, en juin 2017, Santé Canada a approuvé une injection qui aurait pu stopper sur-le-champ sa maladie. Mais ce remède, le Spinraza, coûte 350 000 $ par an. Québec a tardé à l’offrir dans les hôpitaux. Il disait n’être pas assez convaincu de ses bienfaits. Et la maladie a continué ses ravages. Zac a dû être hospitalisé plusieurs jours à chaque rhume – sept fois en un an, précise sa mère, qui a abandonné son poste de conseillère dans une banque pour en prendre soin. « Il était trop faible pour tousser et dégager ses voies respiratoires, explique-t-elle. Ne pas traiter, ça coûte cher aussi. »

« Des décisions déchirantes »

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Des hôpitaux aux tribunaux, la multiplication de thérapies onéreuses fait des vagues.

Tensions à l’interne

Quand la survie d’un patient est en jeu, les médecins souhaitent lui faire profiter sans délai des traitements prometteurs présentés dans les congrès, ou de leurs nouvelles indications. Mais la loi québécoise interdit aux hôpitaux de faire des déficits.

« Si une nouvelle thérapie marche, mais qu’elle est très chère, le médecin dit aux gestionnaires : “Refusez-la vous-mêmes. Moi, je ne peux pas, puisque je sais que c’est renoncer à de la survie” », rapporte Jean-François Bussières, qui dirige le service de pharmacie au CHU Sainte-Justine.

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Jean-François Bussières, directeur du service de pharmacie
du CHU Sainte-Justine

Tout payer est impossible, assure-t-il. « Comme chef de département, je vois l’ensemble des choix à faire. Je suis en avion au-dessus de la forêt, pas à quatre pattes entre les arbres. » Pour donner à l’un, il faudrait peut-être faire des coupes ailleurs, priver quelqu’un d’autre », dit-il.

« Ces décisions sont souvent déchirantes à prendre », souligne pour sa part François Paradis, qui préside l’Association des pharmaciens des établissements de santé (APES). Doit-on payer ou non un médicament qui fonctionne une fois sur quatre ? illustre-t-il.

Il faut s’appuyer sur les données scientifiques. « Mais la médecine, ce n’est pas noir ou blanc », affirme M. Bussières. Les décisions – prises en groupe – ne sont pas toujours unanimes.

« Une tension énorme se crée dans notre système de santé », dit un récent mémoire de l’Alliance pancanadienne pharmaceutique, qui regroupe les régimes publics d’assurance médicaments.

Les problèmes d’accès placent les cliniciens « dans une position difficile des points de vue juridique, éthique et déontologique », a aussi écrit en 2016 l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS), qui conseille la ministre de la Santé.

C’est particulièrement vrai quand un médecin tente d’importer une thérapie non disponible au Canada comme dernier recours pour un patient. D’après Jean-François Bussières, ce médecin s’expose alors aux poursuites, si les choses tournent mal. « Les frais d’assurances peuvent vite devenir insensés, dit-il. Et l’hôpital participe à ce risque parce que le médicament y transite. »

Entre 2009 et 2018, le nombre de demandes faites par des médecins à Santé Canada a fondu de moitié.

Des poursuites

Les gens atteints d’une maladie rare essuient plus de refus que les gens qui ont le cancer, dénonce Yan Défossés, qui veut déposer une poursuite. Depuis la naissance de son fils malade, le résidant de Sorel est convaincu que le droit à l’égalité de ces patients est bafoué par un processus discriminatoire. « Ils n’ont rien fait pour que ça leur arrive, mais on les abandonne. »

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Yan Défossés et son fils Liam

« Stopper une maladie dégénérative, c’est exactement comme stopper la progression d’une tumeur, ça permet de survivre plus longtemps », renchérit Valérie Beaulieu, la mère de Zac.

La Colombie-Britannique fait présentement face à deux poursuites. Des gens atteints de fibrose kystique lui réclament un médicament à 250 000 $ par an. Et un jeune de 21 ans veut être dédommagé pour la perte de son rein. La province, dit-il, a trop tardé à lui payer un traitement à 750 000 $ qui aurait pu protéger ses organes.

Plus de 80 % des demandes exceptionnelles de traitement évaluées dans les grands hôpitaux concernent des anticancéreux récents – pouvant coûter de 80 000 $ à 280 000 $ par personne. Elles sont très majoritairement acceptées, d’après les statistiques transmises à La Presse par les principaux établissements.

Pourquoi les demandes concernant les maladies rares le sont-elles moins ? La décision doit se fonder sur des données scientifiques, mais les patients ne reçoivent pas de décision détaillée. « Il n’existe pas de mécanisme de reddition de comptes explicite », souligne l’INESSS dans un avis de 2016.

Les thérapies contre les maladies rares sont de trois à cinq fois plus onéreuses que les anticancéreux. Mais elles entraînent des dépenses moindres, puisqu’elles demeurent peu nombreuses pour le moment.

Toujours à refaire

Tous les six mois, les médecins de patients traités avec des médicaments onéreux doivent présenter une nouvelle demande écrite à la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ). « Leur évaluation peut prendre deux ou trois mois et c’est stressant pour les familles qui ne savent pas si leur demande sera à nouveau acceptée », rapporte le Dr John Mitchell, endocrinologue à l’Hôpital de Montréal pour enfants.

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Le Dr John Mitchell, endocrinologue à l’Hôpital de Montréal pour enfants

Au CHU de Québec, un pharmacien étudie quasi à temps plein les demandes qu’on appelle « de nécessité médicale particulière ». Les médecins lui en ont présenté environ 145 par mois en 2018. « Dans certains cas, il faut se prononcer de façon très urgente. Ça peut être une question de vie ou de mort », précise la chef du département de pharmacie, Marie-Claude Racine.

Une agence provinciale en cancérologie pourrait peut-être faciliter les choses, suggère François Paradis, de l’APES. Il en existe en Ontario et en Colombie-Britannique, souligne-t-il. Leurs grandes orientations fournissent des repères et peuvent aider à uniformiser un peu les décisions.

Le prix de la vie

« Ça vaut combien, une survie de trois ans ? Personne n’est capable de mettre un chiffre là-dessus. C’est un débat de société urgent. » Le pharmacien François Paradis résume la question de l’heure. Voici comment le Québec tranche.

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Qui se prononce ?

Des experts analysent des études et des documents dans le menu détail, puis une équipe de médecins, pharmaciens, éthiciens et citoyens passe au vote, expose le Dr Stéphane Ahern, qui préside le comité scientifique de l’évaluation des médicaments de l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS). L’organisme formule des recommandations au ministre de la Santé, qui prend la décision définitive.

Selon quels critères ?

Les critères sont fixés par une loi. Le traitement doit avoir une « valeur thérapeutique » et apporter assez de bénéfices pour justifier son prix. Pour le patient d’abord, mais aussi pour le réseau de la santé – en permettant, par exemple, d’éviter des greffes très coûteuses.

L’impact qu’aurait son remboursement sur les finances publiques entre aussi en ligne de compte. Ce qui ne dépend pas seulement du prix, mais du nombre de patients concernés.

Les médicaments non couverts sont-ils inefficaces ?

Pas forcément. Même quand l’INESSS conclut que la « valeur thérapeutique » n’est pas démontrée, le problème vient généralement d’un manque de données. L’organisme estime qu’il faudrait des études plus vastes et plus longues pour se convaincre de l’efficacité du traitement.

Mais dans certains cas, c’est mettre la barre trop haut, estiment les médecins interviewés par La Presse. Les traitements très ciblés ne peuvent être testés sur des masses de patients ; il est donc quasi impossible d’obtenir le niveau de preuve exigé d’ordinaire.

« [Ces exigences] allongent le processus et c’est un peu ça, l’objectif, retarder le moment de payer, constate le médecin chercheur Daniel Gaudet. Ça fait partie de la stratégie. »

Doit-on leur donner une chance ?

L’INESSS a reconnu que les critères étaient parfois impossibles à remplir. Il est parfois « scientifiquement raisonnable » de donner une chance aux médicaments prometteurs, conclut un avis publié à l’été 2018. « Plus le besoin de santé est grand, plus on va tolérer une certaine incertitude », précise le Dr Ahern. Mais la maladie doit être rare et le pronostic, « très sombre ».

Québec a ainsi fait volte-face au sujet du Spinraza – le médicament que Zac n’a pas pu recevoir à temps. La ministre de la Santé a décidé, au début de 2019, de l’offrir à tous les patients atteints, après avoir refusé un an plus tôt. « Il faut être sensible à [de telles] situations dans notre population », a-t-elle dit aux médias.

L’évaluation des traitements contre le cancer a été ajustée dès 2015.

Est-ce que les résultats sont au rendez-vous ?

Pour vérifier si les promesses des études se concrétisent, on colligera des données dans le monde réel, indique le Dr Ahern. « Il y a de réelles percées actuellement », constate Marie-Claude Racine, chef de la pharmacie au CHU de Québec. « Dans certains cas, on prévoyait trois mois de survie, mais on a des patients qui sont rendus à trois ans. Un homme qui avait le cancer du poumon est retourné au travail. »

Plusieurs enfants ont reçu une injection de Spinraza depuis un an. Des parents célèbrent déjà sur Facebook : « Ma fille ressemblait à un superhéros qui teste ses nouveaux pouvoirs », a écrit un père enthousiaste. D’autres se réjouissent d’avoir au moins freiné le déclin de leur enfant.

Scientifiquement, il est trop tôt pour se prononcer sur les effets du traitement, estiment les professionnels de la santé.

Pourquoi la couverture de médicaments efficaces est-elle souvent repoussée ?

Le prix de certains médicaments est parfois si exorbitant que l’INESSS juge leur remboursement déraisonnable. De plus en plus fréquemment, précise le Dr Ahern, on exige que le fabricant atténue le « fardeau économique » du gouvernement, sinon son médicament ne sera pas inscrit. Il arrive aussi qu’on fasse « le tri des besoins », dit le médecin chercheur Daniel Gaudet. On réserve alors des médicaments onéreux aux cas extrêmes, puisque la majorité des maladies rares causent des symptômes plus ou moins graves selon les victimes.

Les traitements de plus de 10 000 $ représentent déjà 30 % des dépenses des régimes d’assurance (publics ou privés), alors qu’ils profitent à moins de 2 % des bénéficiaires.

• 42 %
Proportion des revenus du gouvernement du Québec déjà consacrée à la Santé

« Il faut arrêter de se mettre la tête dans le sable et de se dire que la vie n’a pas de prix, affirme le professeur Marc-André Gagnon, spécialiste des politiques de santé à l’Université Carleton. Veut-on fermer des écoles pour payer plus de médicaments ? »

Les choix de l’État

Le gouvernement n’a pas toujours les bonnes priorités, tonne l’ex-journaliste de Sherbrooke Mario Goupil. Sa femme de 59 ans, Lisette Joyal – sœur de la chanteuse Chloé Sainte-Marie et huit fois grand-mère –, a survécu à deux cancers. Dix ans plus tard, elle a été foudroyée par une maladie qui cause la paralysie et tue souvent ses victimes en quelques années, la sclérose latérale amyotrophique. Santé Canada a approuvé un médicament qui ne peut guérir, mais pourrait donner un sursis d’un ou deux ans à quelques centaines de Québécois dans la même situation. Mais les négociations entre le gouvernement et le fabricant s’enlisent. L’offrir pendant trois ans coûterait 62 millions. C’est trop cher pour ce qu’il apporte, a déclaré la ministre de la Santé aux médias l’été dernier, en disant qu’« il faut tenir compte de la capacité de payer des Québécois ».

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Mario Goupil et sa femme Lisette Joyal, atteinte de SLA

« Elle a vraiment dit ça ? s’indigne Mario Goupil sur Facebook. Et son patron [le premier ministre] est prêt à payer 70 millions pour un toit afin de pouvoir assister sans se mouiller à un tournoi de tennis ? »

M. Goupil et Mme Joyal ont payé des milliers de dollars l’été dernier afin d’importer eux-mêmes le médicament du Japon. Son fabricant Mitsubishi Pharma a annoncé durant les Fêtes qu’il s’était entendu avec l’assureur du couple, SSQ, et que les frais seraient désormais couverts. « Il faudrait maintenant que tous les autres patients atteints soient assurés, a écrit l’ex-journaliste la semaine dernière. Tous devraient avoir droit au même traitement que Lisette. »

Pas de tortue et voies rapides

Six étapes doivent être franchies pour qu’un nouveau traitement soit lancé sur le marché. Le parcours peut être long et tortueux. Mais des raccourcis permettent à certains patients de les obtenir plus rapidement. Survol.

Étape 1 : un fabricant teste un traitement expérimental lors d’un essai clinique

• Durée des essais de 2 à 7 ans
• 12 % des traitements expérimentaux seront éventuellement commercialisés.
• Voie rapide pour les malades : servir de cobaye en participant à l’essai clinique
• 5700 : nombre d’essais cliniques actifs au Canada en date d’avril 2019

Consultez le site des essais cliniques sur le cancer
Consultez le site des essais sur les maladies rares

Étape 2 : un fabricant demande l’autorisation de lancer son nouveau traitement sur le marché canadien

• Délai : 11 mois, en moyenne, après la toute première mise en marché d’un traitement ailleurs dans le monde
• 56 % des traitements offerts aux États-Unis sont aussi lancés au Canada
• Voie rapide pour les malades : s’il n’y a pas d’autre option et si le fabricant accepte, ils peuvent importer le traitement par le biais du Programme d’accès spécial (PAS) de Santé Canada, qui a accepté un peu plus de 13 000 demandes en 2018. Parfois, le fabricant fournit son produit gratuitement.

Obtenez des informations sur le Programme d’accès spécial de Santé Canada

Étape 3 : Santé Canada évalue la demande du fabricant

• Délai : 300 jours maximum ou 6 mois pour les traitements répondant à des besoins non comblés, qui sont mis sur une voie accélérée
• 48 % des nouveaux médicaments lancés de 2009 à 2016 ont été ultérieurement vendus au Canada
• 78 : nombre de nouveaux médicaments approuvés par Santé Canada en 2018

Consultez nos sources

Étape 4 : un institut gouvernemental (l’INESSS) évalue l’opportunité de couvrir le nouveau traitement

• Délai : 180 jours maximum
• 247 : nombre de produits évalués en 2018-2019
• 76 % : proportion des cas dans lesquels l’INESSS a recommandé que le traitement soit couvert – souvent, à condition que le coût soit d’abord réduit
• Voie rapide pour les malades : demander une autorisation de paiement à la RAMQ ou à un établissement, ce qui est possible « dans des situations exceptionnelles ». 292 millions : dépenses de la RAMQ pour offrir des traitements vendus au Canada mais non couverts en 2018-2019

Obtenez des informations sur la mesure du « patient d’exception »

Étape 5 : un organisme pancanadien négocie des rabais ou des ristournes avec les fabricants

• Délai : 1 an en moyenne avant que les négociations aboutissent, parfois jusqu’à 2 ou 3 ans 282
• En date du 31 octobre 2019, 282 processus de négociation avaient été accomplis, 42 étaient en cours, et 117 avaient avorté ou été refusés
• Voie rapide pour les malades : pendant les négociations, les demandes d’exception sont très difficiles. Il faut que le patient risque la mort ou une détérioration irréversible de son état dans les 30 prochains jours.

Étape 6 : le nouveau traitement apparaît à la liste des médicaments couverts (parfois avec restrictions) ou en est officiellement exclu

• Délai : Peu après le rapport de l’INESSS
• 7000 à 8000 : nombre de médicaments inscrits à la liste québécoise des médicaments couverts (contre 4000 dans plusieurs autres provinces)
• 10 000 à 20 000 : nombre de médicaments couverts par les régimes privés d’assurance
• Plus rapide au privé : au Canada, les régimes d’assurance privés (qui couvrent 55 % des Québécois) attendent moins longtemps que les régimes publics avant de commencer à rembourser un nouveau traitement. Soit 142 jours en moyenne plutôt que 449. Ils augmentent les primes de l’ensemble de leurs assurés en conséquence.

Source : Institut Fraser

Cliquez ici pour consulter le site du Centre d’information et de soutien en maladies rares (iRARE).