Tenue responsable de ne pas avoir informé son organisation des allégations de racisme portées par de nombreux Atikamekw lors de la commission Viens, Maryse Olivier est outrée. Elle affirme avoir avisé Daniel Castonguay, PDG du Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de Lanaudière, à plusieurs reprises de la gravité de la situation et de l’importance de la corriger.

Maryse Olivier, ancienne directrice de la protection de la jeunesse (DPJ) de Lanaudière, représentait le CISSS de Lanaudière lors des audiences de la commission Viens. Relevée de ses fonctions en janvier 2020 à la suite d’une enquête sur le climat de travail dans sa direction, elle réagissait mercredi aux propos du PDG du CISSS, qui a affirmé, dans une entrevue avec La Presse, qu’il n’était pas au courant des nombreux témoignages sur le racisme qui sévissait à l’hôpital de Joliette, dont il est le directeur, et que personne ne l’avait informé.

« Un des commissaires avait demandé à notre représentante, présente à ce moment-là, de faire le pont avec moi, que les témoignages étaient durs envers l’hôpital, et ce suivi n’a pas été fait », nous a dit Daniel Castonguay.

Mme Olivier a perçu cette affirmation comme une atteinte à sa réputation, et somme le PDG Castonguay de se rétracter.

« Je suis tannée qu’on fasse atteinte à ma réputation », a-t-elle dit à La Presse, qui l’a jointe pour obtenir sa version des faits.

Cette ancienne directrice de la protection de la jeunesse, en plus de représenter sa direction à la commission Viens – dont le nom complet est Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec –, témoignait à titre de représentante du CISSS pour les questions de santé et services sociaux.

« Le PDG m’a mandatée. Il a demandé lors d’un comité de direction à l’ensemble des directeurs de me donner toute l’information pertinente pour que je puisse remplir mon mandat », précise-t-elle.

Son témoignage a eu lieu le 28 septembre 2018 à Val-d’Or, en Abitibi, où siégeait la commission. Quelques semaines plus tard, Mme Olivier assure avoir fait le point sur la situation lors d’une séance du comité de direction du CISSS.

« Je leur ai fait un résumé des propos qui m’avaient été présentés lors de la commission. Ce qui était ressorti, c’était particulièrement du racisme envers les autochtones au CHDL [Centre hospitalier de Lanaudière], relate-t-elle. J’ai dit que les gens étaient traités avec un manque de respect incroyable et que ça n’avait pas de sens. Moi, l’histoire de Joyce, je l’avais entendue live. C’était, à peu de mots près, la même chose qui avait été nommée à la commission Viens. »

« Le PDG ne peut pas ignorer les plaintes »

En plus de faire rapport au comité de direction, Mme Olivier affirme avoir relancé le PDG à plusieurs reprises pour lui demander de prendre connaissance de son témoignage dans le but qu’ils s’en parlent.

« Ma stratégie, au départ, c’était de lui dire : “Entends ce que j’ai entendu, et après ça, on va se mettre en action.” La dernière fois, je m’en rappelle très bien, c’était le 30 mai 2019, au cégep de L’Assomption, où des représentants de la communauté autochtone assistaient à une journée de concertation sur l’entente multisectorielle. Je lui avais dit : “Il faut qu’on s’en reparle, c’est important, il y a des enjeux.” »

Le PDG ne peut pas ignorer les plaintes que les clients portent au commissaire aux plaintes. Quand je suis allée à la commission Viens, M. [Jacques] Viens lui-même l’avait dit, plusieurs de ces usagers-là avaient fait des plaintes au commissaire aux plaintes. Donc, il ne peut pas l’ignorer, puisque c’était quand même un bon volume.

Maryse Olivier, ancienne directrice de la protection de la jeunesse de Lanaudière

Par ailleurs, en 2018, Philippe Éthier, directeur général adjoint du CISSS de Lanaudière, était en discussion avec la communauté de Manawan pour convenir des modalités d’embauche d’un agent de liaison autochtone pour l’hôpital de Joliette. Maryse Olivier l’a évoqué dans ton témoignage à la Commission.

« Dans mon témoignage, j’affirme qu’un agent de liaison va être embauché pour le CHDL et que son mandat va être d’améliorer les relations entre les autochtones et le personnel. Comment le directeur général adjoint et le PDG peuvent ne pas être au courant alors qu’ils ont fait ce choix-là ? »

Mme Olivier avoue que la sortie de M. Castonguay, si elle l’a mise hors d’elle, ne l’a pas surprise. « Ça prend un coupable », dit-elle.

Selon Sébastien Brodeur-Girard, avocat et codirecteur de l’équipe de recherche de la commission Viens, si le PDG du CISSS ne savait pas, c’est qu’il n’était pas à sa place.

« Est-ce que c’est normal que vous ne vous intéressiez pas aux audiences d’une commission d’enquête publique ? Moi, je trouve ça très douteux. Si tu n’es pas capable de faire le suivi, c’est parce que tu n’es probablement pas à la hauteur des enjeux », dit-il.

« Comment est-ce que ce PDG peut prétendre ne pas être au courant ? Je ne peux pas comprendre. Il n’avait pas à attendre. Ces audiences étaient diffusées en direct sur l’internet de manière publique, elles étaient accessibles à tout le monde. Des commissions d’enquête, il n’y en a pas 75 par année. Donc, quand ton établissement est visé, il me semble que la moindre des choses, c’est de suivre ce qui se passe. Et s’il n’a pas fait ça, je remets en question la qualité de son travail et ses compétences. Ça me semble problématique. »

Le CISSS nie encore avoir été informé

En soirée mercredi, le CISSS de Lanaudière a transmis une déclaration à La Presse pour réagir aux propos de Maryse Olivier, niant qu’elle ait fait part des témoignages de la commission Viens à ses supérieurs.

« Effectivement que le sujet de la participation de Mme Olivier à la Commission a été abordé au comité de direction. Les propos en ce qui concerne les témoignages accablants concernant l’hôpital de Joliette n’ont pas été abordés cependant. Les sujets étaient plus en lien avec sa participation et sa préparation. Comme M. Castonguay vous a mentionné lors de l’entrevue, le sujet de la Commission a été abordé, mais on ne lui a pas fait part des témoignages accablants sur l’hôpital », affirme Pascale Lamy au nom de l’organisation.