La ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, ouvre la porte à reconnaître légalement le recours aux mères porteuses au Québec. Elle projette de modifier le Code civil pour dissiper le flou juridique actuel.

«Je crois qu'il est temps qu'on ait une discussion franche sur cette question-là», soutient la procureure générale du Québec dans une entrevue à La Presse.

«La société a évolué. Il y a un recours aux mères porteuses qui semble être souhaité de la part de certains couples. Et ce recours-là, il est plus fréquent qu'il ne l'était au début des années 80 ou 90. Et donc il va falloir aborder la question de front.»

À défaut de balises claires ici, des couples québécois se tournent vers les controversées « usines à bébés » d'Asie. Des femmes miséreuses y offrent leur ventre en échange d'argent dans des conditions qui, pour reprendre l'expression de la ministre, «donnent des frissons dans le dos».

«Si le recours ou le droit d'avoir recours à une mère porteuse était reconnu davantage ici, au Québec, est-ce qu'on ne tournerait pas le dos aux mauvaises pratiques?» - Stéphanie Vallée

Son ministère est pour le moment à définir de « grandes orientations » afin de « permettre à notre droit de la famille, sur cet aspect-là, d'évoluer et de se moderniser ».

«Des projets de loi de cette nature-là commandent énormément de travail et de réflexion parce qu'il y a un arrimage à faire avec le droit international, avec le droit canadien, avec des considérations médicales. On est là-dessus.»

Elle n'est donc pas prête à accoucher d'un nouveau cadre juridique dans un bref délai. Au début de l'an prochain, alors? «Je ne voudrais pas vous donner un échéancier», répond-elle. Néanmoins, la machine est maintenant en branle.

Une pression des tribunaux

Des décisions des tribunaux poussent le gouvernement Couillard à agir. À l'été, Québec a perdu deux batailles pour contrer l'utilisation des «usines à bébés». Il voulait empêcher l'adoption, par des couples québécois, d'enfants nés de mères porteuses - indienne dans un cas, thaïlandaise dans l'autre - en vertu de contrats liant les deux parties et prévoyant le versement d'environ 30 000 $ à un intermédiaire. Ces ententes n'ont aucune valeur au Québec, mais elles sont légales dans ces pays asiatiques. Cette situation a provoqué l'essor de ce que l'on appelle le «tourisme procréatif».

Devant les juges, Québec plaidait que le procédé ne garantit pas le respect des droits de la mère porteuse, instrumentalise le corps de la femme et mène à la marchandisation de l'enfant.

Or, dans les deux cas, la Cour du Québec a autorisé l'adoption, au nom de l'intérêt de l'enfant. Il n'a pas à payer le prix du débat sur les mères porteuses, selon le tribunal. Les juges ont d'ailleurs placé le gouvernement devant ses responsabilités.

Même son de cloche chez son collègue Pierre Hamel: «Il appartient au législateur d'intervenir sur ces questions. [...] Le Tribunal est certes préoccupé par le caractère particulier des circonstances entourant la conception et la naissance de ces enfants, mais il est surtout préoccupé par leur situation actuelle».

«Les décisions rendues nous amènent à apporter cette réflexion» sur le recours aux mères porteuses, reconnaît Stéphanie Vallée. Son projet de loi en gestation serait susceptible selon elle de dissuader les Québécois de faire appel aux «usines à bébés».

Ce n'est pas la seule raison à l'origine de sa démarche. «Soyons aussi très conscients qu'il y a de plus en plus de couples homosexuels au Québec et qu'il y a cette volonté d'avoir recours aux mères porteuses pour avoir un projet parental. [...] Oui, il y a l'adoption, mais pour certains, le recours à une mère porteuse, qui bien souvent est une amie du couple, pourrait à certains égards être une solution qui permettrait au couple de bâtir sa famille», affirme Mme Vallée.

«Nulle de nullité absolue»

Au Canada, il n'est pas interdit de recourir à une mère porteuse. La loi fédérale prévoit seulement que celle-ci doit être âgée de 21 ans ou plus et qu'elle ne doit pas être payée pour ses services. Mais les provinces ont leur mot à dire, car les règles de filiation sont dans leur champ de compétence. Hors Québec, la loi ou les tribunaux reconnaissent des effets aux ententes : des déclarations de parentalité peuvent être rendues pour établir la filiation de l'enfant avec les parents d'intention à la suite de la naissance, pourvu que la mère porteuse soit consentante.

Or ici, «toute convention par laquelle une femme s'engage à procréer ou à porter un enfant pour le compte d'autrui est nulle de nullité absolue», stipule l'article 541 du Code civil entré en vigueur en 1994.

Des couples québécois incapables de procréer courent tout de même le risque de faire appel à une mère porteuse. Le père d'intention étant celui inscrit dans la déclaration de naissance, sa conjointe ou son conjoint demande par la suite au tribunal d'adopter l'enfant.

Des «iniquités»

Au fil des ans, des juges ont autorisé l'adoption, d'autres pas. En 2014, la Cour d'appel a rendu un jugement majeur donnant une certaine valeur aux contrats de mères porteuses. Il a permis l'adoption d'un enfant par la mère d'intention et a effacé la filiation avec la mère porteuse. C'est ce que prévoyait l'entente entre les deux parties. L'adoption est «la solution la moins insatisfaisante » et celle qui «sert le mieux l'intérêt de l'enfant» dans les circonstances, a-t-elle conclu.

Pour Stéphanie Vallée, la situation actuelle crée «un certain nombre d'iniquités». Comme les ententes ne sont pas reconnues, la mère porteuse peut décider de garder le bébé. Car aux yeux de la loi, la mère de l'enfant, c'est elle, que l'ont ait utilisé l'un de ses ovules ou pas.

La mère porteuse peut également se retrouver avec un couple qui a changé d'idée et ne veut plus de l'enfant. «Oui, elle a des recours pour faire reconnaître le père biologique, si c'est bien l'un des deux membres du couple. Mais il ne peut pas y avoir de recours en dommage. Il y a un vide juridique», affirme la ministre.

Une réflexion entamée

DES BALISES PROPOSÉES

Stéphanie Vallée ne part pas de rien. Dans un rapport déposé en juin 2015, le Comité consultatif sur le droit de la famille a recommandé des changements au Code civil pour reconnaître le recours aux mères porteuses. On y prévoit une procédure pour établir la filiation de l'enfant avec les parents d'intention. Il doit y avoir entente préalable entre eux et la mère porteuse. Cette dernière pourrait rétracter son consentement et choisir de garder l'enfant dans un délai de 30 jours après la naissance. Si les parents d'intention renoncent à leur projet en cours de route et ne veulent plus du bébé, ils auraient une responsabilité financière à l'égard de l'enfant et de la mère porteuse. « Ces recommandations font partie de la réflexion », souligne Mme Vallée.

ET LES SUITES DE L'AFFAIRE ÉRIC ET LOLA ?

Le président du Comité consultatif, Alain Roy, salue les intentions de la ministre Vallée, mais son enthousiasme est prudent. « Je suis heureux qu'on s'attaque à une problématique du droit de la famille. J'espère évidemment qu'on agira avec diligence », affirme le juriste. Il aurait privilégié une réforme globale pour que l'on donne également des suites législatives à l'affaire Éric et Lola, le dossier qui a mené à la création du comité par le gouvernement. Au cabinet de la ministre Vallée, on laisse entendre que le dossier des mères porteuses et celui pour revoir le régime des conjoints de fait sont traités de façon distincte. Ce dernier ne semble pas faire partie du plan du gouvernement, déplore Alain Roy.

PAS DE RÉMUNÉRATION, MAIS...

Il n'est pas question que le gouvernement autorise la rémunération des mères porteuses, chose interdite au Canada de toute façon. Par contre, « est-ce qu'on peut reconnaître que pendant la grossesse, la mère va avoir des besoins et, à ce moment-là, est-ce qu'il ne faudrait pas s'assurer que la mère ne soit pas seule à assumer les différentes étapes de la grossesse ? », dit la ministre Vallée. On permettrait alors que les parents d'intention remboursent à la mère porteuse certaines de ses dépenses.

VIRAGE AU CONSEIL DU STATUT DE LA FEMME

Le Conseil du statut de la femme était opposé au recours aux mères porteuses jusqu'à tout récemment. Dans un avis rendu public en février dernier, il y ouvre la porte. À condition qu'il n'y ait pas de rémunération. « On ne peut plus se fermer les yeux : la maternité pour autrui est une réalité au Québec même si les contrats de cette nature ne sont pas reconnus par nos lois. Il faut mettre en place des balises pour limiter les conséquences négatives pour les femmes qui agissent comme mères porteuses et leurs enfants », affirmait sa présidente à l'époque, Julie Miville-Dechêne. L'avis est considéré avec attention par la ministre Vallée.

UNE MONTAGNE DE DOSSIERS

Le dossier des mères porteuses pourra-t-il arriver à terme rapidement ? La tâche sera difficile puisqu'il s'ajoute aux nombreux fers au feu de Stéphanie Vallée. D'abord, elle pilote une réforme majeure du Code des professions (projet de loi 98), qui est à l'étude à l'Assemblée nationale. Les parlementaires se pencheront cet automne sur une autre pièce législative signée par la ministre et fixant des balises pour encadrer les accommodements religieux. Mme Vallée entend également proposer des mesures pour désengorger l'appareil judiciaire. C'est sans compter que Michel Bouchard doit remettre sous peu son rapport sur la gestion des mégaprocès.