Peu importe la manière dont il a été conçu, tout enfant a droit à une filiation claire et celui d'être adopté par son parent d'intention, conclut la Cour d'appel dans un jugement qui accorde par conséquent une certaine valeur au contrat de mère porteuse.

Dans cette décision rendue mardi, la Cour d'appel raie la filiation avec la mère porteuse pour permettre l'adoption de l'enfant par la mère d'intention, ainsi que le prévoyait l'entente privée entre les parties.

Jusqu'ici, les juges ne s'entendaient pas sur la légalité de l'adoption par l'un des parents d'intention de l'enfant né d'une mère porteuse. Certains juges l'autorisaient, d'autres s'y refusaient, estimant que cela revenait à cautionner indirectement les contrats de mère porteuse que le Code civil ne reconnaît aucunement.

Il est donc revenu à la Cour d'appel de trancher cette «question délicate», comme la qualifie lui-même le juge Yves-Marie Morissette, qui a rédigé la décision.

La cause concerne au premier chef un couple qui, pour la deuxième fois, a eu recours à la même mère porteuse, qui est une amie.

En 2009, cette mère porteuse (qui n'est pas la donneuse d'ovule) avait porté pour le couple son premier enfant. La mère d'intention n'a alors eu aucun mal à adopter l'enfant.

Pour son deuxième enfant conçu de la même façon trois ans plus tard par la même mère porteuse, il en est allé tout autrement.

La juge de première instance a refusé d'autoriser l'adoption de l'enfant par la mère d'intention, bien que la mère porteuse ait nettement signifié qu'elle ne se sentait nullement liée à lui par l'instinct maternel.

Au coeur du refus de la Cour du Québec: sa certitude que la mère porteuse avait été rémunérée (ce qui est illégal), et non pas seulement dédommagée pour les frais qu'elle avait supportés pendant sa grossesse.

Cette fois, la Cour d'appel conclut au contraire que l'enfant doit pouvoir être adopté par sa mère d'intention parce que c'est à son avis «la solution la moins insatisfaisante» qui sert «le mieux l'intérêt de l'enfant» en cause et qui respecte au mieux le principe fondamental voulant que tous les enfants «aient les mêmes droits et les mêmes obligations, quelles que soient les circonstances de leur naissance».

Si l'on ne permettait pas l'adoption, poursuit la Cour d'appel, «il en résulterait une situation tout à fait artificielle qui compliquerait sans raison mais de manière tangible diverses circonstances de la vie courante», peut-on lire.

Pour la Cour d'appel et au nom de l'intérêt de l'enfant, il n'est pas acceptable de lier la nullité du contrat de mère porteuse aux questions de filiation.

Un débat qui reste entier

Ce jugement est loin de régler pour autant les questions entourant les mères porteuses, fait observer Me Alain Roy, professeur de droit à l'Université de Montréal et président du comité qui se penche actuellement sur la réforme du droit de la famille.

Le débat social et éthique sur le recours aux mères porteuses reste entier, poursuit-il.

Si Me Roy apprécie la profondeur de ce jugement, il reste sceptique quant à ses conclusions compte tenu de l'état actuel du droit.

À son avis, le fait que la loi nie toute valeur au contrat de mère porteuse est fondamental.

Si le législateur l'a voulu ainsi à l'origine, poursuit-il, c'était pour éviter notamment tout risque que les femmes soient victimes d'exploitation et d'instrumentalisation ou que les enfants soient l'objet d'une marchandisation. «Il reste maintenant à déterminer si l'on considère toujours que ces impératifs sociaux sont tels qu'ils doivent primer l'intérêt particulier des enfants, d'où l'importance des réflexions à venir», conclut Me Roy.