Il y a trois ans, Marie-Claude Lemieux a fait son entrée dans le tableau 6, à la page 18 de la monographie de la pilule contraceptive Tri-Cyclen - le tableau des effets indésirables. Le 16 février 2010, Marie-Claude Lemieux a fait un accident vasculaire cérébral (AVC) qui l'a laissée totalement paralysée, sauf les muscles de la paupière gauche. Cause la plus probable: le contraceptif de troisième génération qu'elle prenait depuis quelques mois.

Depuis trois ans, la femme de 32 ans est prisonnière de son propre corps. Diagnostic médical: syndrome de verrouillage. La Presse l'avait rencontrée quelques mois à peine après son accident. Depuis, à force de volonté, elle a rééduqué certains muscles. Elle peut bouger les deux paupières. Un doigt. Certains muscles du cou. Elle a retrouvé une partie du réflexe de déglutition, ce qui lui permet de manger des purées. Mais elle demeure lourdement handicapée, pour la vie. Vraisemblablement à cause d'un contraceptif qu'elle croyait inoffensif.

«Disons que c'est un méchant effet indésirable», nous a-t-elle déclaré dans un courriel - qu'elle rédige avec son index, à l'aide d'un programme spécial. «Personne ne m'a mentionné les risques et je ne me suis pas plus renseignée en croyant qu'étant donné qu'elle avait été approuvée, c'était sans grand danger.»

«Aucune prédisposition»

«Marie-Claude n'avait aucune prédisposition à avoir un AVC. Elle était en forme, elle n'avait pas de surpoids, elle ne fumait pas, il n'y a aucun antécédent familial. Son père est en pleine forme et ses grands-parents ont vécu très vieux, explique son mari Frédéric Boulianne. Les médecins nous ont dit qu'il y avait de grosses chances que la cause de l'AVC soit la pilule contraceptive. C'est avec cette raison-là qu'on est ressortis de l'hôpital.»

Six mois avant son AVC, Mme Lemieux avait recommencé à prendre la pilule Tri-Cyclen, du fabricant français Janssen. Comme tous les contraceptifs, il contient de l'oestrogène et un progestatif. C'est la nature du progestatif qui change, selon les différentes générations de la pilule. La première et la deuxième génération utilisaient du lévonorgestrel et du norgestrel. Dans les contraceptifs de troisième génération, on a utilisé du désogestrel, du gestodène ou du norgestimate. Or, les risques d'AVC, de thrombose, de phlébite et d'embolie pulmonaire sont plus élevés avec ces progestatifs.

Au Québec, quelque 90 000 femmes prenaient l'an dernier des contraceptifs de troisième génération. Chez nous, depuis le lancement de ces médicaments, au milieu des années 90, pas moins de 600 effets indésirables ont été déclarés à Santé Canada pour les six marques de contraceptifs de troisième génération. Des effets indésirables qui vont des nausées à l'accident vasculaire cérébral. Mais il ne s'agit que de la pointe de l'iceberg, puisque la déclaration des effets secondaires n'est pas obligatoire.

D'autres victimes, outre-Atlantique

Marie-Claude Lemieux est donc loin d'être la seule victime de la pilule. Au Canada, un recours collectif a été intenté pour les pilules de quatrième génération, Yaz et Yasmin, montrées du doigt relativement à de graves problèmes de santé. Mais en France, des poursuites ont aussi été intentées contre les fabricants de contraceptifs de troisième génération. Marion Larat, 25 ans, accuse la pilule Meliane, fabriquée par Bayer, d'être la cause d'un AVC qui l'a laissée lourdement handicapée. Plusieurs autres plaignants se sont ralliés à sa cause, qui vise désormais une demi-douzaine de producteurs de contraceptifs oraux.

La ministre française de la Santé, Marisol Touraine, a demandé à l'Agence européenne du médicament de revoir les autorisations de mise en marché de ces produits pour garantir qu'ils ne soient plus prescrits comme premier choix. L'État français ne rembourse d'ailleurs plus les contraceptifs de troisième et de quatrième génération.

Au Canada, la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada a publié une alerte en 1995, qui visait à diminuer le nombre de prescriptions de contraceptifs de troisième génération. «Malgré la diminution des prescriptions, on n'a pas pu constater une diminution des AVC consécutifs à la prise de la pilule», souligne Diane Lamarre, présidente de l'Ordre des pharmaciens du Québec. «Le premier choix, pour les prescriptions, devrait toujours être un contraceptif de seconde génération. Les troisième et quatrième générations devraient être un deuxième recours.»

Si un recours collectif s'organisait au Canada, Frédéric Boulianne n'aurait aucune hésitation: il en ferait partie. «Je le ferais, c'est sûr. Si la compagnie perdait, peut-être que ça pourrait donner des fonds pour aider Marie-Claude.» Car Mme Lemieux, qui vit actuellement dans un centre d'hébergement et de soins de longue durée à Maniwaki, rêve de rentrer chez elle. Son mari bâtit depuis deux ans une aile à leur maison afin d'accueillir tout l'équipement adapté dont elle aura besoin: bain spécial, lève-personne, rampe d'accès. Pour payer tout cela - des dizaines de milliers de dollars -, Frédéric Boulianne a dû organiser des campagnes de financement.

M. Boulianne déplore d'ailleurs le fait que les risques des contraceptifs demeurent largement méconnus. «C'est un jeu de roulette russe», dit-il. Mme Lemieux ajoute: «même s'il y a un faible pourcentage, il est présent, et ça peut faire toute la différence».