Le gouvernement Legault risque d'accélérer la chute du poids démographique du Québec au sein de la fédération canadienne - et, par ricochet, son poids politique - en voulant réduire le nombre d'immigrants qui s'installent au Québec.

Telle est la mise en garde qu'a poliment lancée le gouvernement Trudeau à de proches collaborateurs du nouveau premier ministre du Québec, François Legault, au cours des derniers jours, alors que le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) a officiellement pris les commandes de l'État jeudi.

Selon des informations obtenues par La Presse, le gouvernement Trudeau a entrepris de sensibiliser le gouvernement caquiste aux répercussions possibles de son intention de réduire le nombre d'immigrants qui élisent domicile au Québec sur le poids démographique de la province au sein de la fédération. Au lendemain des élections québécoises, qui ont vu la CAQ remporter 74 des 125 sièges à l'Assemblée nationale, François Legault a réitéré la promesse électorale de son parti de faire passer le nombre d'immigrants de quelque 50 000 à 40 000 dès 2019.

Le nouveau ministre de l'Immigration du gouvernement caquiste, Simon Jolin-Barrette, a obtenu le mandat de réaliser cette promesse qui a suscité de vifs débats durant la campagne électorale, d'autant plus que le gouvernement fédéral a son mot à dire en matière d'immigration et que les entreprises doivent composer avec une pénurie de main-d'oeuvre au Québec.

Rappelons que le gouvernement fédéral, quant à lui, s'est donné pour objectif d'accueillir 310 000 immigrants en 2018, 330 000 en 2019 et 340 000 en 2020.

Durant les trois premiers mois de 2018, l'Ontario a accueilli presque autant d'immigrants que la cible annuelle que propose François Legault dès l'an prochain, soit 35 222 personnes, selon des données du ministère des Finances de l'Ontario obtenues par La Presse. L'Ontario comptait 14 374 084 habitants au 1er avril 2018 (contre 8,4 millions au Québec) et avait aussi accueilli 44,1 % de tous les nouveaux arrivants au Canada durant le premier trimestre de l'année. En 2017, pas moins de 121 915 immigrants ont installé leurs pénates dans la province la plus populeuse.

Les nouveaux sièges en fonction du poids

Dans les coulisses, on a tenu à rappeler que c'est à partir du poids démographique d'une province que l'on distribue de nouveaux sièges à la Chambre des communes - de plus en plus dominée par l'Ontario, qui détient 121 des 338 sièges. À titre de comparaison, le Québec détient 78 sièges, alors que la Colombie-Britannique (42) et l'Alberta (34), mis ensemble, en ont presque autant (76) depuis la réforme de la carte électorale de 2011.

« Quand on décide de réduire le nombre d'immigrants qui s'installent au Québec, cela va avoir un impact sur le poids démographique du Québec par rapport au reste du pays. Et cela pourrait aussi avoir un impact sur son poids politique à long terme », a-t-on fait valoir dans les rangs libéraux à Ottawa.

Au cours du dernier siècle et plus, le poids démographique du Québec est passé de 30,7 % de la population canadienne en 1901 à 22,6 % en 2018.

Le poids démographique de l'Ontario, lui, s'établit à 38,7 % aujourd'hui. Le gouvernement ontarien prévoit qu'il atteindra 39,8 % en 2026 et qu'il franchira le cap des 40,3 % en 2031 si la tendance actuelle se maintient.

Au cours des dernières années, la population de l'Ontario a donc crû fortement, ce qui lui a permis d'obtenir davantage de sièges à la Chambre des communes et d'augmenter du même coup son influence sur les décisions qui sont prises dans la capitale fédérale.

Des inquiétudes

Dans les coulisses, des députés libéraux fédéraux du Québec ont aussi exprimé leurs inquiétudes quant aux répercussions de la politique du gouvernement caquiste en matière d'immigration. « Je suis un député du Québec et je ne veux pas que le Québec en vienne à perdre de son influence politique à Ottawa au profit de l'Ontario », a résumé un député libéral, qui a requis l'anonymat pour s'exprimer plus candidement sur cette question qui pourrait devenir une pomme de discorde entre les deux capitales.

En 2011, l'ancien gouvernement conservateur de Stephen Harper avait annoncé l'attribution de nouveaux sièges à l'Ontario, à l'Alberta et à la Colombie-Britannique afin de tenir compte de la forte croissance démographique dans ces trois provinces. La Chambre des communes est passée, aux élections de 2015, de 308 à 338 sièges. L'Ontario a obtenu 15 de ces 30 nouveaux sièges, tandis que l'Alberta et la Colombie-Britannique se sont vu donner six nouveaux sièges chacun. Le gouvernement du Québec et le Bloc québécois sont montés au créneau pour décrier la baisse du poids politique du Québec à la Chambre des communes. De proches collaborateurs québécois de Stephen Harper l'ont alors convaincu d'accorder trois nouveaux sièges au Québec, même si la croissance de sa population ne justifiait pas une telle mesure.

Le Québec détient aujourd'hui l'équivalent de 23 % des sièges à la Chambre des communes, soit une proportion plus élevée que son poids démographique (22,6 %).