(Ottawa) Pour la première fois dans les 30 dernières années, minimum, un chef de l’opposition officielle s’est fait mettre à la porte de la Chambre des communes : Pierre Poilievre a été chassé de l’arène après avoir taxé Justin Trudeau de « cinglé » et d’« extrémiste » et refusé de retirer ses propos, mardi.

Ce qu’il faut savoir

  • Le chef conservateur Pierre Poilievre a été expulsé de la Chambre des communes pour usage de vocabulaire jugé non parlementaire.
  • Les échanges acrimonieux ont commencé dès les premières minutes, alors que Justin Trudeau venait de le mettre au défi de condamner Diagolon et Alex Jones.
  • Le leader de l’opposition officielle a crié à la censure, tandis que l’ensemble des partis l’ont critiqué pour son comportement.

La fronde qui a valu cette suspension d’un jour au dirigeant conservateur a commencé avec son intervention sur l’enjeu de la décriminalisation des drogues.

« C’est une politique cinglée [wacko] de ce premier ministre cinglé », a-t-il lâché.

Le président de la Chambre des communes, Greg Fergus l’a sermonné.

Dans les minutes qui ont suivi, quatre fois plutôt qu’une, l’arbitre des travaux parlementaires a demandé à Pierre Poilievre de retirer ses propos.

Il a tour à tour eu droit à : « Je remplace cinglé par extrémiste », « Je vais le remplacer par radical », et « Je remplace le mot cinglé par extrémiste ».

Après la troisième tentative s’est ensuivi un bref conciliabule entre le président Fergus et des responsables de la procédure parlementaire.

Il en est ressorti avec cette requête : « Je vais demander à l’honorable chef de l’opposition, une dernière fois, de s’il vous plaît retirer, et seulement de retirer, ce commentaire ».

Réponse : « Je le retire seulement et je le remplace par l’adjectif mentionné précédemment », l’a défié Pierre Poilievre.

Cela a été la goutte qui a fait déborder le vase : le chef du Parti conservateur a dû quitter son fauteuil.

Ses troupes l’ont suivi, désertant l’enceinte en bloc, et la séance a suivi son cours.

Dans une démonstration de spontanéité parlementaire, le chef bloquiste Yves-François Blanchet a repris la balle au bond.

« M. le président, je me permets de vous féliciter pour avoir fait preuve de gros bon sens », a-t-il raillé, en se moquant du slogan du Parti conservateur.

L’expulsion d’un chef de l’opposition officielle est un fait rarissime, voire historique, selon une recherche effectuée par la Bibliothèque du Parlement.

Non exhaustive en raison des délais serrés, la recherche indique qu’il s’agit d’une première en trois décennies.

Des chefs de certains partis ne formant pas l’opposition officielle, par exemple Jagmeet Singh, en juin 2020, ont toutefois goûté à cette médecine, a spécifié Damien Pilon, technicien d’information et de recherche.

#Wacko

Une fois installé derrière un clavier, Pierre Poilievre a persisté et signé.

« DERNIÈRE HEURE : aujourd’hui, le président libéral [de la Chambre] m’a censuré parce que j’ai décrit la politique de Trudeau en matière de drogues dures de cinglée », a-t-il écrit sur le réseau X.

S’il est vrai que Greg Fergus a été élu sous la bannière libérale, il est également vrai qu’à titre de président de la Chambre des communes, il a une fonction non partisane.

N’empêche, d’après le député conservateur Jacques Gourde, le président a erré, et doit présenter des excuses.

« Si on regarde des deux côtés, la manière dont ça s’est passé, il y a deux poids, deux mesures. Le président, devant sa propre conscience, a un acte de contrition à faire », a-t-il avancé lors d’une brève mêlée de presse.

Là où les deux partis ont pris les mêmes mesures, c’est sur le plan du financement : libéraux et conservateurs ont exploité l’évènement pour solliciter des dons.

« Qu’il se ferme la trappe de temps à autre »

Libéraux et néo-démocrates n’ont pas eu à se faire prier pour casser du sucre sur le dos de Pierre Poilievre.

Pour une personne qui aspire à être premier ministre du Canada, il a « l’épiderme extrêmement sensible », a notamment pesté le ministre Marc Miller.

Quant aux accusations de censure, il les a taillées en pièce.

« Qui se fait réduire au silence ? Ce gars n’a jamais fermé la bouche de sa vie, s’est-il exclamé. Le gars dit des continuellement des imbécilités. Je pense que ce serait bien qu’il se ferme la trappe de temps à autre. »

Moins incisif, le néo-démocrate Alexandre Boulerice a noté que la journée avait permis de faire la distinction entre « les adultes dignes de représenter leurs concitoyens » et ceux qui veulent « faire un cirque ».

Une séance chaotique

L’orage s’annonçait dans le ciel d’Ottawa depuis le retour des députés, lundi.

Les libéraux voulaient coincer Pierre Poilievre en l’exhortant à désavouer publiquement le groupe d’extrême droite Diagolon et le conspirationniste américain Alex Jones.

Lundi, le dirigeant conservateur s’en était tiré. Il avait esquivé les piques de Steven MacKinnon, le leader du gouvernement en Chambre.

Mais mardi, en présence de Justin Trudeau, les échanges ont rapidement dégénéré.

Dès ses premières prises de parole, le chef Poilievre avait déjà taxé le premier ministre de « raciste », histoire de rappeler les fois où Justin Trudeau a arboré des « blackface ».

En retour, le chef libéral lui avait reproché un style de leadership « honteux » et « malveillant ».

Des hurlements fusaient de partout – parmi eux, ceux de la députée conservatrice Rachael Thomas, en colère contre la gestion du président Fergus.

Lorsqu’il lui a demandé de retirer ses propos [inaudibles], l’élue albertaine a répondu que le président se comportait « de manière disgracieuse ».

Elle a par conséquent été expulsée de l’enceinte.

Pierre Poilievre et Rachael Thomas pourront réintégrer la Chambre des communes mercredi. À suivre.