(Ottawa) Justin Trudeau a refusé de se prononcer sur la renationalisation d’Air Canada il y a quelques jours, mais il y a quelques années, il avait clairement admis son penchant en faveur de l’idée, assurent à La Presse des représentants syndicaux qui ont travaillé avec lui à l’époque du litige entre le transporteur aérien et les employés d’Aveos.

Le premier ministre a promis samedi dernier de tenter de trouver une façon d’aider le transporteur aérien, qui licenciera de 50 à 60 % de ses employés, soit au moins 20 000 personnes, le 6 juin. Il a cependant éludé les questions sur la proposition d’une section syndicale de renationaliser partiellement ou complètement la compagnie qui a été privatisée sous Brian Mulroney.

Mais à l’époque où il était simple député de Papineau, derrière des portes closes, il était moins timide à cet égard. C’était en 2010. « Il a dit que s’il était élu premier ministre, il était d’accord pour renationaliser Air Canada », a raconté à La Presse Serge Gélinas, qui était trésorier et représentant politique à l’Association internationale des machinistes et des travailleurs de l’aérospatiale (AIMTA).

« Il était vraiment en faveur ! Il m’avait même sorti un argumentaire politique, qu’ils [le Parti libéral] pourraient dire : “Depuis que les conservateurs ont privatisé Air Canada, ça ne s’est pas bien passé, et nous, on va réparer l’erreur que les conservateurs ont faite en renationalisant Air Canada” », précise celui qui fait partie de la section locale 1751 qui a demandé au gouvernement Trudeau de procéder à une nationalisation.

Son ancien compagnon d’armes Jean Poirier corrobore cette version des faits. « On a dit : ‟Ton père, dans le temps où il était premier ministre, Air Canada était sous l’État, ça permettait d’avoir un contrôle sur cette compagnie-là, un contrôle public, de maintenir des emplois au pays” […] On avait eu cette discussion-là avec lui, et il était 100 % d’accord », a-t-il confié à La Presse.

« Cela faisait partie de ses notions, de ses valeurs, qu’une compagnie aérienne comme Air Canada soit une compagnie publique. Son père était un peu comme ça également », dit l’ex-représentant syndical qui a mené la bataille juridique des travailleurs d’Aveos contre Air Canada.

Le bureau du premier ministre n’a pas souhaité réagir à ces affirmations, mardi soir.

PHOTO JUSTIN TANG, LA PRESSE CANADIENNE

Justin Trudeau, premier ministre du Canada, en point de presse mardi

« Si on le fait pour Air Canada… »

Prendre une telle décision en temps de pandémie pose problème, estime le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet. « Si on le fait [nationaliser] pour Air Canada, j’imagine qu’il va y avoir pas mal de monde qui va se mettre en ligne à la porte », a-t-il soulevé. 

Il est toutefois choqué qu’Air Canada ne soit pas obligée de rembourser les billets d’avion qui ont été annulés en raison de la pandémie. « La compagnie a pour 2,6 milliards de dollars de billets non remboursés, des liquidités admises de 6 milliards [au 31 mars dernier] », a-t-il souligné en conférence de presse.

Au comité plénier de la Chambre des communes sur la COVID-19, le ministre fédéral des Transports, Marc Garneau, a offert une réponse plutôt laconique à ce sujet. « Je comprends la frustration des gens qui auraient voulu être remboursés plutôt que d’avoir un crédit, mais il faut comprendre qu’en ce moment, nos compagnies aériennes vivent des moments très, très difficiles avec 95 % de leurs revenus qui sont disparus », a-t-il dit en réponse à une question du député bloquiste Xavier Barsalou-Duval.

Au NPD, on déplore aussi ce refus d’Air Canada de redonner à ses clients l’argent qu’ils ont dépensé avant que la crise de la COVID-19 ne frappe. 

Est-ce que ces gens auront les moyens de voyager, et quand est-ce que ça va arriver ? Ces consommateurs ont peut-être besoin de l’argent aujourd’hui.

Le député néo-démocrate Alexandre Boulerice

Quant à la nationalisation, son parti est « de gauche » et ne « l’exclut donc pas, mais ce ne serait pas nécessairement notre premier choix », a indiqué M. Boulerice à La Presse.

« Si les libéraux sont capables de nationaliser un pipeline [Trans Mountain], pourquoi pas une compagnie aérienne ? », a-t-il lancé en boutade.

Du côté du Parti conservateur, le chef intérimaire Andrew Scheer n’a pas formulé de souhait précis quant à la façon de venir en aide à Air Canada. Il s’est dit prêt à analyser un plan gouvernemental, avec comme grille d’analyse que le programme soumis devrait « protéger les emplois et protéger les contribuables ».

Le transporteur aérien, privatisé en 1989 sous le gouvernement progressiste-conservateur de Brian Mulroney, s’est prévalu en avril dernier de la subvention salariale d’urgence du Canada (SSUC) pour réembaucher quelque 16 500 travailleurs qui avaient été remerciés quelques semaines auparavant. La société a aussi obtenu un prêt de 788 millions de dollars par l’entremise d’Exportation et Développement Canada (EDC).

Air Canada a fait l’annonce des milliers de licenciements vendredi soir dernier. « La COVID-19 nous a contraints à réduire notre horaire de 95 % et tous les indicateurs nous portent à croire que nous ne retournerons pas bientôt à un niveau normal de trafic. Nos effectifs actuels soutiennent des activités de transport de 51 millions de clients par an, à raison de 1500 vols par jour, assurés par 258 avions. Dans la conjoncture actuelle, une exploitation d’une telle envergure n’est pas viable pour l’avenir », a déclaré la compagnie.