Recrutée par une adolescente en qui elle avait confiance, puis jetée dans les griffes d’un pimp : une fugueuse de 14 ans s’est retrouvée victime de proxénétisme il y a cinq ans alors qu’elle cherchait à fuir sa famille d’accueil.

La juge Guylaine Rivest a entériné la suggestion commune des deux parties, soit quatre ans de pénitencier pour le proxénète Raouf Khaled Laïb, mardi au palais de justice de Montréal.

Le trentenaire a tenté de commettre du proxénétisme à l’égard d’Anne-Marie*, une adolescente en fugue.

Juillet 2019. La victime, âgée de 14 ans, s’enfuit de son domicile de Gatineau, où elle est hébergée par une famille d’accueil. Elle sollicite ses abonnés sur l’application Snapchat pour à se rendre à Montréal. Ce sera le début d’un cauchemar pour la jeune fille.

Cassandre*, une adolescente de 16 ans dont on ne peut révéler la véritable identité en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents, répond à l’appel à l’aide et l’invite chez elle.

Les deux filles se rendent dans un appartement à Ottawa. C’est à cet endroit que deux hommes agressent sexuellement Anne-Marie, selon l’exposé conjoint des faits déposé par la procureure de la Couronne MJessica Drolet mardi lors de la sentence.

Pour Cassandre, il ne s’agissait pas d’un viol, mais plutôt « d’un test que la victime a réussi avec succès », selon le document judiciaire. C’était un piège : la bonne samaritaine tentait en fait de la recruter.

Son objectif : « trouver un pimp à victime », lit-on dans les documents judiciaires. Cassandre lui fait miroiter de l’argent facile après lui avoir demandé si elle était active sexuellement.

Manipulée

Les promesses pécuniaires sont vite ternies par une triste réalité : Anne-Marie est avisée que son pimp garderait 40 % de l’argent et elle, 60 %. Cassandre, 16 ans, l’avertit : elle devra également recevoir un avantage financier, « parce que c’est elle qui l’a fournie ».

« Cassandre a informé la victime que c’était 80 $ pour 30 minutes, mais que c’était plus payant d’aller chez les gens pour faire des clients », selon le résumé des faits déposé en cour.

La recruteuse insiste auprès de l’adolescente vulnérable : si elle veut des clients, elle doit prendre des photos explicites. Elle prend elle-même les clichés, qui incluent de la nudité, et les envoie à « des amis. »

La complice du proxénète prétend alors que la victime a 17 ans.

Elle amène Anne-Marie se faire poser de faux ongles et de faux cils, « pour avoir l’air plus vieille », selon cette dernière. Cassandre va même jusqu’à lui confisquer toutes ses cartes d’identité, par peur que quelqu’un ne découvre l’âge véritable de la victime.

Prise au piège

C’est à ce moment que Raouf Khaled Laïb, 30 ans, entre dans le décor. Le proxénète se présente sous le pseudonyme d’ALL Y ASS.

Il vient chercher la victime en BMW noire. Laïb lui explique qu’ils feraient 10 000 $ en deux semaines et que ses « autres filles sont déjà autonomes ».

« L’accusé lui a dit qu’il allait l’entretenir et veiller à ses besoins, mais qu’il ne voulait pas qu’elle ait de l’argent comptant sur elle. La victime ne pourrait pas vraiment sortir non plus, puisque la business passe en premier selon lui », révèle le résumé des faits.

Il lui dit qu’il faut qu’elle commence à travailler dès le lendemain, ayant déjà publié les photos prises par Cassandre sur un site d’escortes.

La victime raconte avoir été agressée sexuellement par Laïb pendant la nuit dans un appartement au centre-ville de Montréal. L’adolescente est anéantie. Elle refuse de rencontrer des clients le lendemain matin et s’enfuie de chez l’accusé lorsque ce dernier lui lance un ultimatum : « travailler » ou partir.

Elle finit par appeler un ami de Raouf Khaled Laïb rencontré la veille. Elle explique avoir été mise à la porte.

Elle se retrouve encore une fois prise au piège. Au lieu de l’aider, ce dernier lui aurait plutôt proposé de « faire des clients. » Il aurait affirmé avoir loué une chambre d’hôtel pour la journée.

Elle s’enfuit une seconde fois et se cache dans un buisson. Elle se rend ensuite à l’hôpital, où elle sera finalement prise en charge par les autorités.

Détenu depuis le 23 février 2023, Raouf Khaled Laïb a encore un peu moins de trois ans de prison à purger.

Sa complice, Cassandre, a plaidé coupable en 2020 devant le Tribunal de la jeunesse à des accusations de leurre, de proxénétisme à l’égard d’une personne âgée de moins de 18 ans, de distribution et de production de pornographie juvénile.

*Prénoms fictifs