Plus de 300 cyclistes ont été blessés ces dernières années en percutant une portière ouverte par un automobiliste. Le tout premier portrait de l’emportiérage réalisé par la Santé publique de Montréal montre que les aménagements cyclables – ou plutôt leur absence – représentent un facteur de risque important.

« Pointe de l’iceberg »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Magali Bebronne, directrice des programmes à Vélo Québec, note que l’emportiérage est la « hantise » des gens qui se déplacent à vélo en ville.

De janvier 2019 à novembre 2022, pas moins de 309 cas d’emportiérage ont été signalés à Montréal. Une donnée qui ne représente « que la pointe de l’iceberg », souligne François Tessier, chercheur au CIUSSS du Centre-Sud-de l’Île-de-Montréal. Avec sa collègue Billy Picard, M. Tessier vient de publier le Portrait des emportiérages sur le territoire montréalais, la première étude sur le phénomène menée par les autorités de santé publique. « Nous avons analysé finement les données de la police. C’est la première étude du genre sur ce phénomène au Québec. »

Hantise des cyclistes

Magali Bebronne, directrice des programmes à Vélo Québec, note que l’emportiérage est la « hantise » des gens qui se déplacent à vélo en ville. « L’emportiérage nous montre que les véhicules motorisés sont une source de danger lorsqu’ils sont en mouvement, mais aussi lorsqu’ils sont à l’arrêt. » Les victimes sont également réparties entre les hommes et les femmes, ce qui montre que ce n’est pas une question de témérité de la part des cyclistes, puisque les femmes sont typiquement plus prudentes, dit-elle. « Quand une portière surgit, on ne peut souvent pas l’éviter. »

« Ça sort de nulle part »

C’est ce qu’a vécu Joëlle Duguay. Malgré les années, elle se souvient de son emportiérage. « C’est inoubliable », dit-elle. C’était il y a 20 ans, dans le quartier Ahuntsic. Elle circulait à vélo dans une rue passante quand un automobiliste a ouvert sa portière. « Même si tu es 100 % concentrée, tu ne peux pas l’éviter. » Sous l’impact, la portière a plié vers l’avant. Mme Duguay a fait une chute et s’est heurté le bassin. « J’ai eu des douleurs chroniques pendant une dizaine d’années. » Elle se souvient que le couple qui sortait du véhicule l’avait engueulée. « Ils disaient que j’avais brisé leur portière. » Après être allée à l’hôpital, Mme Duguay a continué de faire du vélo. « Aujourd’hui, je me tiens loin des autos stationnées. Même si je dérange l’automobiliste derrière moi, au moins, il me voit. »

Bandes cyclables

À Montréal, les cyclistes sont davantage en sécurité lorsque des aménagements cyclables sont à leur disposition. En 2020, sans surprise, on n’a dénombré aucun cas d’emportiérage dans une piste cyclable en site propre, tandis qu’à peine 1 % des cas sont survenus dans une piste cyclable rehaussée au niveau du trottoir. Pour ce qui est des bandes cyclables et des chaussées désignées, elles accaparent 86 % des incidents répertoriés dans des aménagements cyclables, dit François Tessier. « La peinture au sol rappelle aux automobilistes de faire attention, mais c’est limité comme protection. Idéalement, on aurait toujours une piste cyclable protégée. »

Aménagements sécuritaires

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

« Il y a des gains à faire en plaçant la piste cyclable le long du trottoir », dit Magali Bebronne, directrice des programmes à Vélo Québec.

Aussi, 70 % de cas d’emportiérage à Montréal ont lieu dans des rues qui ne sont pas munies d’infrastructures cyclables, notamment les artères et les rues collectrices, qui sont surreprésentées dans les lieux de collision, note Magali Bebronne. « Ça montre qu’avoir des aménagements cyclables sécuritaires est important dans les endroits où la circulation automobile est la plus élevée. » Également, lorsque la rue est refaite, il arrive que des bandes cyclables soient mises à niveau et placées entre le trottoir et les véhicules stationnés. « C’est souhaitable, car comme le taux d’occupation des véhicules motorisés est de 1,1 ou 1,2 personne, ça veut dire que la portière du côté passager va s’ouvrir beaucoup moins souvent que la porte du côté conducteur. Donc il y a des gains à faire en plaçant la piste le long du trottoir. »

Surtout la semaine

Les cas d’emportiérage rapportés ont généralement lieu la semaine, entre 10 h et 19 h, et la journée du mercredi est particulièrement propice, selon l’analyse. « On remarque que ça suit les volumes de déplacements des gens. La fin de semaine, on remarque que ça se produit de façon un peu moins fréquente », dit M. Tessier. Les occupants d’un véhicule peuvent mettre fin à l’emportiérage en utilisant « l’ouverture pivot », c’est-à-dire employer la main la plus éloignée de la portière pour ouvrir cette dernière, ce qui provoque naturellement une rotation du bassin et permet de voir ce qui se trouve dans l’angle mort.

De 200 $ à 300 $

L’article 430 du Code de la sécurité routière oblige les automobilistes à n’ouvrir la portière de leur véhicule « que lorsqu’ils peuvent le faire sans danger ». L’emportiérage est passible d’une amende de 200 $ à 300 $. Vélo Québec note que « si un emportiérage vous cause des dommages matériels, tels que l’endommagement de votre vélo, d’objets personnels ou professionnels, une réclamation peut être faite aux assurances de l’automobiliste impliqué ».