Au moment de toutes les élections, la route approche... À l'heure des changements climatiques, mieux vaut faire avancer les wagons, les transports collectifs. Lundi, Philippe Couillard a réannoncé le prolongement de la ligne bleue du métro vers l'est. Hier, Québec voulait rendre irréversible la réalisation du projet de Réseau express métropolitain (REM), sous la responsabilité de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ).

Car le chef péquiste Jean-François Lisée a proposé de tirer un trait sur l'aventure du REM, privilégiant de nombreux réseaux de transport complémentaires qui s'étendent dans le 450, véritable champ de bataille des prochaines élections.

Chiffres en main, Lisée a mis en doute hier, à l'Assemblée nationale, le bien-fondé de la décision de prolonger le REM loin dans l'Ouest, au risque de vampiriser la clientèle du train de banlieue de Vaudreuil-Hudson.

Ce trait de crayon sur le plan de la Caisse de dépôt coûtera 1,4 milliard - 10 fois le prix du projet de SRB (service rapide par bus) envisagé sur Pie-IX depuis des années. Le BAPE s'était opposé à ce prolongement dans un rapport très dur sur le projet de la Caisse.

Hier en Chambre, Philippe Couillard a rappelé que le prolongement vers l'ouest était souhaité par la Ville de Montréal dans son plan de transport de 2008 ; on le retrouve aussi dans le plan Vision 2020 de l'Agence métropolitaine de transport publié en 2011. La Communauté métropolitaine de Montréal avait aussi soutenu l'idée en 2012.

TRACÉ MODIFIÉ

Dans les coulisses, La Presse a pu apprendre que la CDPQ, qui dit être à l'abri des considérations politiques, avait dû mettre de l'eau dans son vin et consentir à prolonger le futur réseau loin vers l'ouest, jusqu'à Sainte-Anne-de-Bellevue, même si l'achalandage ne le justifiait pas. Dans les semaines précédant la première annonce, en avril 2016, la CDPQ avait modifié son tracé : le REM irait finalement bien plus loin dans l'Ouest-de-l'Île.

Pourtant, tout paraissait bouclé, vers février, lors de rencontres du comité ad hoc où l'on retrouvait le patron de la Caisse, Michael Sabia, son aréopage, dont le vice-président Christian Dubé, Philippe Couillard, son chef de cabinet Jean-Louis Dufresne, et le secrétaire général du gouvernement Roberto Iglesias. Aussi, pour le gouvernement, on retrouvait la direction de la Société québécoise des infrastructures et du ministère des Transports.

Le projet se faisait alors en séquence : le pont Champlain dans un premier temps, puis jusqu'à l'aéroport Pierre-Elliott-Trudeau. À ce moment, Philippe Couillard insista pour que le « tracé préliminaire » comprenne à la fois le lien avec la Rive-Sud vers Brossard et l'aéroport Pierre-Elliott-Trudeau. Tout le reste serait promis pour plus tard.

Dans l'entourage de Philippe Couillard, on avait alors confirmé à La Presse que le projet qui venait d'être évoqué en entrevue par le premier ministre se ferait en deux temps.

« On n'allait pas dans l'Ouest encore », confie une source proche de ces discussions. Par la suite, la Caisse de dépôt fit des présentations à des groupes précis, dont les députés libéraux de l'Ouest.

Car des indiscrétions émanant de la direction de la Caisse confirmaient le mécontentement des élus libéraux de l'Ouest-de-l'Île, notamment les gros canons Carlos Leitão, Martin Coiteux et Geoffrey Kelley. Ils avaient bien compris : « plus tard » pouvait vouloir dire aux calendes grecques. Le prolongement de la ligne bleue du métro de Montréal est un exemple tangible de ces projets annoncés qui, comme l'horizon, reculent à mesure qu'on avance.

Certaines parties de leurs circonscriptions ne faisaient pas partie du territoire couvert par le REM dans un premier temps, car la Caisse avait évalué - comme devait le faire le BAPE par la suite - que le prolongement vers Sainte-Anne-de-Bellevue n'était pas rentable sur la base de l'achalandage.

Geoffrey Kelley, élu libéral de Jacques-Cartier depuis 24 ans, a confirmé hier que les élus libéraux de l'Ouest avaient eu, avant l'annonce du projet, au moins une rencontre avec les autorités de la Caisse de dépôt. On n'y a pas discuté d'itinéraires précis, de trajets, de stations, mais le message de la nécessité d'aller vers l'ouest a été clairement passé. 

« J'ai dit dès le début que si on allait de l'avant avec un tel projet, cela devait augmenter de façon importante la qualité du transport en commun dans l'ouest de Montréal. Je n'ai rien eu à voir dans l'itinéraire. Mais ça fait 20 ans qu'on discute des rails du CN, du CP » ; sur ces solutions boiteuses, « il y a une montagne d'études », a lancé le ministre Kelley. « Là, on va avoir un lien rapide, moderne, électrique. Et je suis content ! » Car « il y a un élément important, souligne-t-il : l'Ouest-de-l'Île, la zone Vaudreuil-Soulanges, est une des régions au Canada où la croissance de la population est la plus rapide. Amener ces gens au centre-ville en 25 minutes, pour moi, c'est intéressant. Les autoroutes 20 et 40 sont saturées, il faut avoir un tel projet. »

PAR SEGMENTS

Tout le monde a compris dans ces discussions que comme la CDPQ attend un rendement d'environ 8 % sur ce projet, le prolongement dans des zones moins rentables serait compensé, sous une forme ou une autre, par des contributions gouvernementales.

Lors de l'annonce du projet, Michael Sabia a révélé que le REM irait jusqu'à Sainte-Anne-de-Bellevue. À La Presse, quelques jours plus tard, il a soutenu qu'il n'avait jamais été question de scinder le projet en plusieurs phases.

Mais au-delà de l'habillage politique, il faut s'attendre à ce que, dans les faits, le projet soit réalisé par segments. La Caisse a fixé la mise en service du premier tronçon à l'été 2021, mais ne s'est jamais trop compromise sur une date pour l'achèvement du réseau.

Philippe Couillard allait dans le même sens, hier, à l'annonce de la « première pelletée de terre » : la Caisse avait été totalement libre dans la préparation de son projet, lui ne serait pas intervenu. 

Pour ses ministres, cependant, c'est une autre histoire.