(Québec) Ciment McInnis est devenu en 2020 le plus gros pollueur du Québec. Et l’entreprise continuera d’alourdir son bilan avec une hausse de sa production. C’est un défi pour Québec, qui veut réduire de façon importante la pollution du secteur industriel et qui souhaite se présenter comme un chef de file environnemental pendant le sommet sur le climat de la COP26.

Le complexe industriel situé à Port-Daniel, en Gaspésie, a rejeté dans l’atmosphère plus de 1,2 million de tonnes de gaz à effet de serre (GES) l’an dernier. C’est une augmentation de près de 200 000 tonnes par rapport à 2019, selon le plus récent inventaire du ministère de l’Environnement et des Changements climatiques. L’entreprise émet dorénavant plus de gaz à effet de serre que la raffinerie Jean-Gaulin de Valéro, à Lévis, et que celle de Suncor, à Montréal.

Du côté de la raffinerie de Valéro, les diminutions de GES s’expliquent par une « baisse de production » due à la pandémie et par une vingtaine de jours d’arrêt de production pour procéder à des travaux planifiés, a indiqué Marina Binotto, directrice des affaires publiques de la raffinerie Jean-Gaulin.

Les émissions totales des établissements assujettis au marché du carbone ont légèrement diminué en 2020 avec 18,54 millions de tonnes, mais sont tout de même plus élevées qu’en 2018 (17,39 millions), et ce, malgré la pandémie.

Il était attendu que la cimenterie McInnis devienne le plus gros pollueur du Québec. Elle n’a toujours pas atteint sa production maximale, ce qui sera chose faite vers 2023. L’entreprise devrait alors recracher près de 1,76 million de tonnes de GES.

« Les chiffres reflètent une augmentation de la production, le travail se poursuivant pour faire fonctionner l’usine à pleine capacité », affirme Maryse Tremblay, directrice des communications, de l’environnement et du développement durable de l’entreprise, qui est désormais la propriété du géant brésilien Votorantim Cimentos.

Dans le passé, Ciment McInnis a régulièrement promis de réduire ses émissions de GES, en utilisant par exemple de la biomasse forestière comme combustible de remplacement, mais ce n’est toujours pas fait. « Nous sommes très enthousiastes quant aux perspectives de production de ciment Portland calcaire, qui génère 10 % d’émissions en moins », souligne toutefois Maryse Tremblay.

Ciment McInnis a longtemps attiré la controverse. L’entreprise a bénéficié d’un important soutien public du gouvernement Marois, ce qui a suscité la grogne de ses concurrents. Elle a également évité un examen approfondi du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement. Puis, des dépassements de coût lors de la construction du complexe ont plombé le projet. L’État québécois a finalement subi des pertes estimées de 470 millions.

« C’est l’exemple parfait d’un fiasco financier et environnemental qui aurait pu être évité si le gouvernement avait évalué les impacts climatiques de ce projet », déplore Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat-Énergie chez Greenpeace Canada. « À l’avenir, tout projet d’investissement public, comme le troisième lien, devrait être soumis à un test climatique rigoureux », affirme-t-il.

Pollueur-payeur

M. Bonin souligne que les émissions des grands pollueurs ne diminuent pas assez rapidement au Québec et que le principe du pollueur-payeur n’est pas bien appliqué malgré le marché du carbone.

Le gouvernement doit leur serrer la vis, alors que le prix du carbone reste trop bas et qu’ils bénéficient de beaucoup trop d’allocations gratuites ou de droits de polluer gratuitement.

Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat-Énergie chez Greenpeace Canada

Selon Pierre-Olivier Pineau, spécialiste des politiques énergétiques et professeur à HEC Montréal, il ne sert à rien de taper sur la tête de Ciment McInnis, une cimenterie plus récente et plus efficace que ses concurrentes. Il faut plutôt trouver une façon de la rendre moins polluante, comme les autres entreprises de ce secteur.

Et il faut presser le pas : pour atteindre ses cibles climatiques qui seront discutées la semaine prochaine à Glasgow, en Écosse, le Québec devra réduire de 5 millions de tonnes les émissions de GES de son secteur industriel d’ici 2030.

Si les entreprises n’y arrivent pas, le plafond d’émission du marché du carbone continuera, lui, de diminuer, ce qui provoquera une forte hausse du prix du carbone, prédit M. Pineau. Déjà, dit-il, le prix de la tonne de carbone s’est établi à 29,41 $ en août, contre 22,66 $ aux enchères de mai. « C’est la plus grosse hausse qu’il n’y a jamais eu », a-t-il expliqué.

Il souligne que le gouvernement doit « se pencher impérativement sur les manières pour les grandes industries de réduire leurs émissions ».

Dans le secteur du ciment, il y a des « voies de sortie », par exemple l’usage de la biomasse ou de carburants de remplacement, comme des déchets de construction, qui sont toutefois plus rares en Gaspésie. « Il y a des ‟gisements” de biomasse forestière qui pourraient être valorisés, mais qui ne le sont pas encore. Il faut réussir à valoriser et à structurer cette filière. Le gouvernement pourrait accompagner l’industrie là-dedans », souligne-t-il.

De son côté, le cabinet du ministre de l’Environnement, Benoit Charette, se dit peu surpris de ces nouvelles données. « Nous savions que les émissions de McInnis allaient augmenter au fur et à mesure que l’usine allait atteindre [son plein rendement], nous ne sommes donc pas surpris des résultats de ce fiasco libéralo-péquiste », écrit l’attachée de presse du ministre, Rosalie Tremblay-Cloutier.

Le ministre s’attend à ce que l’entreprise « déploie toutes les mesures nécessaires pour réduire ses émissions de GES », mais estime que cela ne change rien à son plan pour une économie verte, qui avait inclus « cette augmentation dans les prévisions ».

Les 10 plus grands pollueurs du Québec

En tonnes métriques d’équivalent CO2, en 2020 (2019)

Ciment McInnis : 1 210 596 (1 036 618)

Énergie Valéro – raffinerie Jean-Gaulin : 1 202 802 (1 329 555)

Aluminerie Alouette : 1 120 641 (1 085 368)

Raffinerie Suncor : 1 081 570 (1 140 058)

Rio Tinto Fer et Titane – complexe métallurgique : 889 507 (957 097)

Rio Tinto Alcan – usine d’Alma : 822 512 (851 942)

ArcelorMittal – usine de bouletage de Port-Cartier : 819 803 (987 716)

ArcelorMittal Produits longs Canada – usine de Contrecœur : 738 978 (898 973)

Aluminerie de Bécancour – usine de Bécancour : 734 994 (145 726)

Groupe CRH Canada – cimenterie de Joliette : 635 816 (782 153)