Au moment où les portes ouvertes des écoles battent leur plein, certaines d’entre elles affichent déjà complet et invitent des élèves de 5année – et leurs parents – à venir visiter leur établissement en prévision de la rentrée scolaire 2023-2024.

La course pour choisir une école secondaire commence de plus en plus tôt pour les élèves du primaire et leurs parents.

« On oublie ça, on a une liste d’attente. » Directeur général du collège Reine-Marie, à Montréal, Marc Tremblay répond ainsi à la question hypothétique de La Presse : pourrait-on inscrire un enfant actuellement en 6année dans son école secondaire, en vue de l’an prochain ?

Parmi les responsables de cette absence de places : la hausse démographique.

« Ce que j’observe dans le milieu, c’est que des collègues suivent la vague. Les examens disparaissent et il ne reste que quelques écoles qui ont des séances d’examens à l’automne », dit Marc Tremblay, directeur général du collège Reine-Marie, dans le quartier Saint-Michel à Montréal.

Dans nombre d’écoles, privées comme publiques, l’analyse des résultats scolaires a remplacé le proverbial examen d’entrée. La pandémie a donné un coup d’accélérateur à cette tendance déjà entamée.

Au Pensionnat du Saint-Nom-de-Marie, une école secondaire pour filles à Outremont, on admet aussi les élèves avant qu’elles n’aient terminé leur 5année du primaire. Cette année, l’école a mis fin à une tradition vieille de deux décennies en abolissant l’examen d’entrée.

« C’est un avantage pour les parents. On ne fait pas subir un stress entre la 5e et la 6année. Beaucoup de parents préparaient les élèves, certains faisaient des camps de jour de préparation aux examens et passaient beaucoup de tests en une seule fin de semaine [d’automne]. On voulait débarquer de ça », explique Yves Petit, directeur général du Pensionnat.

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Visite guidée du Collège de Montréal

D’autres écoles privées de la grande région de Montréal préparent déjà la rentrée scolaire 2023-2024 et invitent des élèves de 5année à participer à leurs portes ouvertes.

Au sein même du réseau privé, certains critiquent cette manière de faire, le « premier arrivé, premier servi » des écoles : pour eux, aller chercher les élèves en fin de 5année ressemble davantage à une technique pour recruter les jeunes avant les autres établissements.

Directeur général du collège Reine-Marie, Marc Tremblay a commencé à sélectionner les élèves en 5année il y a déjà 10 ans. La raison principale, dit-il, est d’avoir le temps de rencontrer chaque famille qui fait une demande d’admission dans son école.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Marc Tremblay, directeur général du collège Reine-Marie

On me l’a reproché. On m’a dit : “Coudonc, vas-tu aller les chercher en 3e, en 4année ?”

Marc Tremblay, directeur général du collège Reine-Marie

« C’est de la loterie »

Il n’y a pas que dans les écoles privées que l’engouement se fait sentir. Rencontré lors des portes ouvertes du Collège de Montréal il y a une dizaine de jours, Cyril Vulgarides faisait remarquer que « dans les écoles publiques qui sont intéressantes, il y a beaucoup de demandes ». Sa fille Simone, 11 ans, entre au secondaire l’an prochain. « Il y a des écoles très recherchées, c’est de la loterie. »

Ce n’est pas une figure de style : se voulant « plus inclusif », le centre de services scolaire de Montréal (CSSDM) a changé sa manière de sélectionner les élèves dans certaines de ses écoles.

« Avant, si on avait une centaine de places pour un niveau, on faisait passer 200 tests et on prenait les meilleurs. On donne maintenant un critère minimal : par exemple, tous les jeunes qui ont eu au-dessus de 70 % participent à un tirage au sort », explique Benoit Thomas, directeur de l’unité des écoles secondaires au CSSDM.

Les programmes particuliers sont recherchés, comme en ont témoigné des parents en passant la nuit dehors pour assurer une place à leur enfant dans une école secondaire du quartier Villeray, il y a quelques années. Dans certaines écoles, il y a beaucoup plus d’appelés que d’élus. À titre d’exemple, l’école publique Joseph-François-Perrault, dans le quartier Saint-Michel, a offert par tirage l’an dernier 40 places dans son programme d’éducation internationale (PEI), parmi 300 demandes d’admission.

Plus d’élèves que jamais au secondaire

En raison d’une augmentation des naissances il y a un peu plus de 10 ans, les écoles secondaires de la province reçoivent ces années-ci plus d’élèves que jamais.

Ils étaient 88 891 bébés à naître au Québec en 2009. Quelques années auparavant, la province avait observé un creux dans les naissances. En 2002, il y avait eu 16 000 naissances de moins. Comme leurs parents sont à même de le constater, les bébés de 2009 sont maintenant des préadolescents.

Leur arrivée au secondaire se fait sentir. C’est notamment le cas à Montréal, où le manque d’espace a été particulièrement criant au cours des dernières années dans les écoles primaires.

« On accueille depuis quelques années un nombre important d’élèves. De façon générale, on est capables d’absorber l’augmentation de la clientèle parce que les bâtiments au secondaire sont plus grands, les ratios dans les classes sont plus grands », explique Benoit Thomas, directeur de l’unité des écoles secondaires au CSSDM.

Dans certains quartiers, comme Ahuntsic, la situation est « problématique », parce qu’il n’y a qu’une école secondaire pour accueillir tous les jeunes. Dans l’est de l’île de Montréal, où « beaucoup de tours de condos se construisent », il faudra aussi ajouter de l’espace pour l’arrivée de nouveaux élèves.

L’augmentation des élèves qui entrent au secondaire risque de se poursuivre au moins jusqu’en 2024-2025, observe M. Thomas.

L’embarras du choix

PHOTO PASCAL RATTHÉ, LE SOLEIL

Ryma Belmouloud et sa fille Rania

« Je ne savais pas qu’il fallait magasiner des écoles secondaires ! » Au téléphone, Ryma Belmouloud rigole. Arrivée d’Algérie il y a cinq ans, elle découvre peu à peu le système d’éducation québécois.

« En Algérie, on affecte automatiquement les élèves à une école secondaire. J’ai appelé une amie [québécoise] pour qu’elle m’explique comment se fait l’évolution scolaire. Je comprends qu’on peut aller à l’école secondaire du quartier, mais aussi qu’on peut jumeler les études avec une activité », relate Mme Belmouloud.

Si son mari et elle ont principalement choisi le Québec pour la langue française, ils avaient aussi entendu dire que le système scolaire québécois était bon. Dans ce contexte, apprendre par l’école primaire de leur fille Rania que des visites avaient lieu dans des écoles secondaires a surpris les parents.

« Je me suis dit : déjà, en 5année ! En regardant les sites, j’ai vu que plusieurs écoles faisaient des portes ouvertes », explique Ryma Belmouloud.

Chercheuse postdoctorale en sociologie de l’éducation à l’Université Laval, Véronique Grenier s’intéresse aux dynamiques des marchés scolaires au Québec.

Elle rappelle que selon l’endroit où on vit au Québec, le choix d’une école secondaire se pose… ou pas.

« On trouve la question du choix de l’école dans des régions comme Sherbrooke, Québec ou l’Outaouais, mais Montréal est particulier par rapport au reste de la province. L’offre éducative est plus diversifiée, les quartiers sont rapprochés, les transports en commun sont accessibles », explique-t-elle, tout en déplorant que des enfants vivant en région aient moins d’offres que ceux des centres urbains.

Il y a une dizaine de jours, le Collège de Montréal a ouvert ses portes sur invitation aux futurs élèves. C’est au son d’un orchestre que les visiteurs étaient accueillis sur le terrain de l’école. Ils suivaient un parcours préétabli dans le bâtiment, au cours duquel on leur expliquait les différentes options offertes. Près de 300 familles s’y sont présentées.

Mila, 11 ans, y était avec ses parents. En combinant les écoles privées et publiques, le nombre de visites faites par la famille s’élève à une douzaine. « Honnêtement, j’ai un spreadsheet [tableau] », dit en riant sa mère Nadine Ishak.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Chris Hardt et sa fille Mila en visite guidée au Collège de Montréal

Le choix d’une école secondaire est-il un stress ? Oui, répond sans hésitation son père, Chris Hardt.

Cette année encore, les visites sont entièrement virtuelles dans les écoles du centre de services scolaire de Montréal (CSSDM). « On a mis en place des visites à 360 degrés, comme les visites de maisons. On a utilisé des drones pour avoir des images aériennes des écoles », explique Benoit Thomas, directeur de l’unité des écoles secondaires.

Il se défend bien de vendre des écoles comme on vend des maisons. « Pas du tout. On met en lumière nos programmes, parce qu’on a fait une bonification des différentes options offertes dans les écoles de quartier. On veut faire découvrir ces options-là », dit M. Thomas.

Des parents impliqués

Directeur général du collège Reine-Marie, Marc Tremblay dit qu’au cours des dernières années, les parents sont devenus un peu plus critiques, « se questionnent davantage sur ce qui est bon pour leur enfant et ce qui l’est moins ». Les écoles publiques offrent aussi plus de choix qu’avant, observe-t-il.

Un constat que fait aussi la chercheuse Véronique Grenier. « C’est bien de voir des parents motivés par l’école, qui se demandent ce qui est mieux pour leurs enfants. C’est important et il y a un grand mouvement vers ça », observe-t-elle.

Elle n’est pas contre le fait de donner des choix de programmes aux enfants, mais rappelle que restreindre l’accès à certains d’entre eux sur la base de la performance scolaire reproduit les inégalités.

« On doit faire en sorte que le système y participe le moins possible. La question des marchés scolaires était présente avant : dès les années 1970, des parents choisissaient l’école privée, les écoles internationales ont été créées dans les années 1980. Mais ce n’était pas au niveau d’aujourd’hui. C’est un peu alarmant », lance Véronique Grenier.