L’école à la maison gagne encore du terrain au Québec. Pour l’année scolaire en cours, plus de 5500 enfants sont scolarisés à la maison, une augmentation d’environ 10 % par rapport à l’année précédente.

Depuis septembre 2018, les parents dont les enfants reçoivent une éducation à la maison doivent en aviser le ministre de l’Éducation. Pour 2019-2020, 5518 de ces avis ont été reçus, contre 4968 l’année dernière.

Cette augmentation s’est faite en dépit de changements apportés l’an dernier au règlement encadrant l’enseignement à la maison, critiqués par des parents qui les jugeaient « inutiles » et « prématurés ».

Québec demande maintenant aux parents qui font l’école à domicile de coller davantage leur enseignement à ce qui se fait dans les écoles. Il est obligatoire d’enseigner les matières de base comme la langue maternelle, la langue seconde et les mathématiques, mais aussi les sciences et l’histoire.

Dès juin 2021, les enfants scolarisés à domicile devront se soumettre aux examens ministériels qui sont donnés dès la quatrième année du primaire.

Le ministère de l’Éducation ne nous a pas fourni de réponse quant à la cause de cette augmentation de jeunes scolarisés à la maison, mais l’inscription d’enfants des communautés juives hassidiques l’expliquerait en partie. Selon l’Association éducative juive pour l’enseignement à la maison, ils seraient près de 1900 enfants à être inscrits auprès du gouvernement.

C’est aussi une hypothèse qu’avance Christine Brabant, professeure à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal.

« Les communautés juives hassidiques sont de plus en plus nombreuses à se joindre à l’école à la maison. Ce sont des jeunes qui étaient dans des écoles qu’on appelle illégales, qui étaient dans un flou juridique. Étant inscrits, ils apparaissent dans les effectifs du Ministère et vont être suivis individuellement », dit Christine Brabant.

Dans le cadre de ses recherches, elle suit certains enfants de la communauté juive hassidique et leurs parents. « Les parents sont beaucoup plus impliqués dans l’éducation des enfants, ils ne peuvent plus seulement confier l’éducation à l’école ou au centre, il y a beaucoup de choses qui se font à la maison et qui sont ajoutées pour rejoindre le programme [gouvernemental] », explique Christine Brabant. Dans certains centres, toutefois, « c’est plus difficile », dit-elle.

« Il aurait pu y avoir un recul »

Le nouveau règlement de Québec ayant causé beaucoup de mécontentement chez les familles qui font l’école à la maison, « il aurait pu y avoir un recul », poursuit la professeure. Des familles auraient pu choisir de ne pas s’inscrire auprès du gouvernement ou de déménager pour changer de commission scolaire et ainsi laisser moins de traces.

La directrice de l’Association québécoise pour l’éducation à domicile (AQED) estime que des parents se sont « résignés ». « Il y a un peu plus de parents qui ont peur de ne pas s’inscrire, parce qu’on ne sait pas quelles seront les conséquences de ne pas communiquer qu’on fait l’école à la maison. Je pense que les parents ont décidé d’être patients et d’acheter la paix à court terme », dit Noémi Berlus, directrice de l’AQED.

Elle dit connaître personnellement « au moins cinq familles » qui ont décidé de déménager en Ontario après l’adoption du règlement. « En Ontario, le gouvernement dit que si tu ne délègues pas la responsabilité de l’éducation de ton enfant à l’école et qu’il n’y a pas de signalement qu’il y a un problème, on assume que le parent est de bonne foi et qu’il fait ce qu’il faut pour son enfant », dit Noémi Berlus.

En apportant des modifications au règlement encadrant l’enseignement à la maison, le ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, Jean-François Roberge, disait vouloir prévenir « plus efficacement le recours aux “écoles” dites illégales ou clandestines ».

Pour l’AQED, il a plutôt changé l’essence de l’éducation à la maison en demandant aux parents de se coller à ce qui se fait à l’école.

« Ce qu’on trouve triste, c’est que la raison pour laquelle beaucoup de nos membres ont quitté l’école, c’est que les enfants n’entraient pas dans le moule », dit Noémi Berlus.

— Avec William Leclerc, La Presse