(Montréal) Les admissions dans les techniques d’éducation à l’enfance chutent. Les employés les plus expérimentés dans les services de garde, exténués, quittent le bateau. Le portrait de la main-d’œuvre dans les garderies du Québec est loin d’être rose, et certains s’inquiètent même que le problème puisse avoir des effets sur la qualité des services.

« On sait que la stabilité du personnel est extrêmement importante pour la qualité des interactions qui s’établissent avec les enfants », a souligné Nathalie Bigras, directrice scientifique de l’équipe de recherche Qualité éducative des services de garde et petite enfance et professeure à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Mme Bigras est également préoccupée par le fait que le gouvernement a diminué le ratio d’éducatrices qualifiées dans les services de garde. Avant, on exigeait que les deux tiers des éducatrices soient formés, mais depuis la pandémie, le gouvernement a diminué ce ratio à un tiers — une mesure « temporaire », assure le ministre de la Famille Mathieu Lacombe.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le ministre de la Famille, Mathieu Lacombe

« Les recherches, ce qu’elles nous disent, c’est que la formation contribue énormément sur le plan de la qualité des services offerts », a soutenu Mme Bigras.

C’est un changement qui préoccupe aussi Marc Boucher, président de l’Association des enseignantes et des enseignants en Techniques d’éducation à l’enfance (AEETÉE).

« Ça envoie un message comme quoi il n’est pas nécessaire d’avoir une formation complète pour entrer sur le marché du travail. Ça instaure un message contradictoire », a-t-il indiqué.

En entrevue téléphonique, le ministre de la Famille Mathieu Lacombe a assuré que le gouvernement était conscient du problème, et il a mentionné une initiative du ministère, qui sonde actuellement les services de garde sur leurs besoins en main-d’œuvre pour les aider éventuellement à embaucher des gens.

Je pense que les parents doivent être rassurés du fait qu’on est conscient du problème est qu’on est résolu à trouver des solutions. Si on niait le problème, ou si on continuait de dire que pour des raisons budgétaires, on ne voulait pas poursuivre le développement [du réseau], on aggraverait le problème.

Mathieu Lacombe, ministre de la Famille

À plus long terme, le gouvernement réfléchit à une stratégie pour attirer plus de travailleurs dans le réseau. « L’important pour moi, c’est d’envoyer le message qu’on développe le réseau. Ça, c’est de valoriser la profession », a ajouté M. Lacombe, qui montre du doigt les compressions de l’ancien gouvernement libéral.

Un vieux problème

Tous s’entendent pour dire que le manque de main-d’œuvre dans les services de garde remonte à plusieurs années, et la pandémie n’a fait que l’accentuer.

Valérie Grenon, présidente de la Fédération des intervenantes en petite enfance du Québec (FIPEQ-CSQ) affirme que les compressions imposées par le gouvernement Couillard en 2015-2016 ont durement touché le réseau, qui a perdu plusieurs employés précieux, dont des éducatrices spécialisées, des conseillères pédagogiques ou des préposées pour la désinfection.

Les éducatrices qui sont restées dans le réseau ont donc du faire face à une surcharge de travail, qui est encore plus problématique en temps de pandémie, remarque Mme Grenon.

Dès qu’il y en a une qui est absente, c’est toute la surcharge qui tombe sur les autres.

Valérie Grenon, présidente de la Fédération des intervenantes en petite enfance du Québec

« Souvent, les intervenantes nous disent qu’elles ont beaucoup de patience avec les enfants qu’elles accueillent le jour, mais quand elles arrivent chez elles, avec leurs propres enfants, la patience n’est plus là. Il y en a beaucoup qui finissent par quitter parce qu’elles choisissent leur propre famille. »

Nathalie Bigras note par ailleurs que les gestionnaires des services de garde sont aussi à bout de souffle, car ils ont été au front pendant tout le long de la pandémie. Plusieurs garderies ont dû rester ouvertes pour s’occuper des enfants des parents travaillant dans les secteurs essentiels.

« Dans le milieu de la petite enfance actuellement, il y a deux personnes sur trois au niveau des gestionnaires qui pensent quitter leurs fonctions après la pandémie parce qu’ils sont complètement découragés, démotivés. »

Manque de relève criant

Avec tant de travailleurs qui désertent le réseau, un autre problème persiste depuis plusieurs années : le nombre d’admissions dans les techniques en petite enfance est en baisse constante.

Selon les dernières données du Service régional d’admission du Montréal métropolitain (SRAM), le nombre d’admis dans cette technique est passé de 1310 en 2013 à 946 en 2019.

Pour le Service régional d’admission au collégial de Québec (SRACQ), qui couvre 15 cégeps de la région de Québec jusqu’à la Côte-Nord, le nombre d’offres d’admission était de 164 en 2020, alors qu’on en dénombrait 217 en 2016.

Dans la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean (où la formation n’est offerte qu’au cégep de Jonquière), seulement 42 offres d’admissions ont été recensées en 2020, comparativement à 56 en 2013, selon les chiffres du Service régional d’admission des cégeps du Saguenay–Lac-Saint-Jean (SRASL).

Selon la représentante syndicale Valérie Grenon, cette baisse des admissions s’explique entre autres par le fait que les conditions de travail des éducatrices ne sont pas assez intéressantes en ce moment.

PHOTO RYAN REMIORZ, THE CANADIAN PRESS

La présidente de la Fédération des intervenantes en petite enfance du Québec, Valérie Grenon, s'adresse à ses troupes lors d'une manifestation devant le bureau du ministre de la Famille, Mathieu Lacombe, le 11 septembre à Montréal.

« Une éducatrice formée avec son DEC va arriver au CPE aux alentours de 18-19 $ l’heure. On aurait le même salaire dans d’autres métiers sans toutes ces études-là. Et on plafonne très rapidement. Le salaire moyen d’une éducatrice qui a cinq ans d’expérience, formée, est autour de 30-35 000 $ par année. C’est très bas pour toute la tâche qu’elle a à faire », a-t-elle déploré.

Revaloriser le métier

Plusieurs intervenants s’entendent pour dire qu’actuellement, le gouvernement devrait valoriser davantage la profession tant pour retenir ses employés actuels que pour attirer davantage de jeunes.

« Oui, ça peut être par des campagnes publicitaires, mais il va falloir que ce soit accompagné par des mesures réelles qui démontre que le salaire, que les conditions de travail, seront améliorés », souligne Marc Boucher.

Et selon Nathalie Bigras, le gouvernement Legault n’a pas contribué à améliorer le problème en mettant l’accent sur les maternelles 4 ans.

« Quand on vous dit : “ Bien non, vous n’êtes pas suffisamment formées ou compétentes pour que les enfants soient bien préparés à aller à l’école, on va ouvrir des maternelles 4 ans ”… On leur a transmis le message qu’on ne reconnaît pas leur profession, a-t-elle indiqué. Ça n’incite pas les étudiants à aller dans ce domaine-là. »

Des services complémentaires

C’est une accusation que rejette le ministre de la Famille, qui insiste sur la complémentarité des services de garde et des maternelles 4 ans.

« [Les maternelles 4 ans], c’est bon pour un type d’enfant qui ne fréquente pas actuellement de CPE, a affirmé M. Lacombe. De mémoire, c’est un enfant sur trois qui fréquente les classes de maternelle 4 ans et qui n’était pas dans un service de garde éducatif avant. Donc ça veut dire qu’on offre de nouveaux services. »

Il rappelle également que dans les classes de maternelle 4 ans, il y a aussi des besoins pour des éducatrices qualifiées.

« Investir à la fois dans les CPE, puis dans les maternelles 4 ans, au contraire, c’est bon pour la valorisation de la profession. »

Quant aux conditions de travail des éducatrices, M. Lacombe rappelle qu’elles se décident à la table de négociations entre le gouvernement et le syndicat.