Regardez la carte électorale de 2019 et celle de 2021.

À quoi ont servi ces élections ? À rien. À part gaspiller 600 millions de dollars, politiser la campagne de vaccination et diviser encore plus le pays.

Les chiffres sont pratiquement les mêmes. Tout ce qui a changé, ce sont certains visages. Y compris celui de Justin Trudeau, qui sourit moins.

Il garde le pouvoir, mais perd son pari.

Le chef libéral est affaibli et il n’a personne d’autre à blâmer que lui-même. Il est puni par là où il a péché.

Comme en 2019, M. Trudeau a encore plus de sièges que les conservateurs. Et au moment d’écrire ces lignes, il récoltait moins de votes qu’eux.

Il devrait diriger un gouvernement minoritaire après avoir obtenu moins du tiers des votes, le plus faible résultat de l’histoire pour un premier ministre. Son autorité morale s’effrite

L’hubris l’a aveuglé. Il aurait pu continuer de gouverner. Les mesures phares de son budget avançaient avec l’appui des néo-démocrates. Mais il rêvait de redevenir majoritaire, alors il a déclenché ces élections inutiles.

M. Trudeau accusait les conservateurs de vouloir « scrapper » son réseau national de garderies. S’il y tenait tant, il n’avait qu’à ne pas le mettre en péril.

Une majorité était à sa portée, croyait-il. Contrairement à Jean Charest et ses « deux mains sur le volant » en 2008, il n’osait toutefois pas le dire. Puis son mauvais départ a vite changé l’enjeu. Après une semaine, il se battait pour sa survie.

Les libéraux pensaient que la grogne contre les élections ne durerait que quelques jours. C’est habituellement ainsi. Mais la pandémie n’a rien d’habituel. Plus le temps avançait, plus la campagne était dénoncée.

Les libéraux qui réfléchissent au long terme doivent commencer à envisager l’après-Trudeau. Pour le chef, un lent compte à rebours vient de démarrer.

Vrai, il avait fallu à Stephen Harper quatre tentatives avant de devenir majoritaire. Mais si les conservateurs sont restés patients, c’est parce que chaque fois, leur chef augmentait ses votes. M. Trudeau, lui, est sur une pente descendante.

Son avenir n’est pas encore écrit. Aucun parti n’aura intérêt à replonger le Canada dans une campagne électorale. Le chef libéral pourrait garder le pouvoir assez longtemps. Mais ce qui s’est brisé ne se réparera jamais complètement.

* * *

L’avenir d’Erin O’Toole est aussi nuageux. Cet autoproclamé « vrai bleu » s’est positionné en « progressiste ». Son recentrage a déstabilisé ses militants et ses contradictions ont fini par le rattraper, particulièrement en ce qui concerne les armes à feu. S’il avait gagné, tout lui aurait été pardonné. Ce n’est pas le cas… Pourquoi renier ses principes si c’est pour perdre ?

Parmi ses députés, il n’y a toutefois pas de dauphin désigné qui paraît mieux placé que lui pour battre les libéraux. À moins d’un putsch pour faire revenir une vedette au parti, il pourrait s’accrocher à son poste. Et il veut le faire, comme le prouve son discours énergique à mi-chemin entre un appel à l’unité et un plaidoyer pour un match revanche.

Jagmeet Singh et Yves-François Blanchet restent quant à eux bien en selle. Le scénario idéal se répète pour eux. Ils peuvent chacun détenir la balance du pouvoir.

Le Bloc a des demandes fermes – hausser les transferts en santé et bonifier la pension de la Sécurité de la vieillesse à partir de 65 ans. Le NPD, lui, ne se compromet pas trop. Il veut taxer davantage les « ultrariches », en restant ouvert sur les modalités.

Pour M. Trudeau, ce n’est pas une mauvaise nouvelle. Cela lui donne deux options et deux stratégies aussi pour négocier lors des votes de confiance. Et négocier sera plutôt aisé, car personne ne veut d’élections.

Annamie Paul est la grande perdante. Alors que la crise climatique préoccupe plus que jamais les citoyens, le Parti vert est en chute libre. Elle est même moins populaire que Maxime Bernier. Le style autoritaire de la cheffe verte, dénoncé à l’interne, y est sans doute pour beaucoup. Et son hostilité face au Québec n’a pas aidé non plus.

François Legault ne doit pas sourire non plus. Plus de 40 % des Québécois ont voté pour le Parti libéral et le Nouveau Parti démocratique, même s’il les qualifiait de « dangers » et de « menaces » pour l’avenir de la nation. Ces deux partis risquent de s’en souvenir. Surtout quand il viendra leur quémander de l’argent pour son troisième lien Québec-Lévis à la veille des élections provinciales.

* * *

Pour moi, deux images résument cette campagne.

La première : Justin Trudeau qui implore les gens de se faire vacciner et de respecter les mesures sanitaires dans une pâtisserie ontarienne remplie de ses militants. Le rassemblement violait les normes, devant les caméras de tout le pays…

La seconde, ce sont ces photos à travers le pays de longues files d’électeurs. Certains ont dû retourner chez eux. Combien ? Je ne sais pas. Mais sans doute plus qu’à l’habitude.

Voter aurait été plus simple si M. Trudeau s’était gardé une petite gêne. Mais il n’a pas pu se retenir.

Comme l’a écrit mon confrère Daniel Leblanc, de Radio-Canada, ces élections constituent en quelque sorte le remaniement ministériel le plus coûteux de l’histoire du pays.