Dans quelle grotte vit donc le Canadien ?

Je me suis posé la question en suivant la controverse entourant le repêchage de Logan Mailloux durant la fin de semaine.

Résumé des faits pour ceux qui sortent eux-mêmes d’une grotte :

Un jeune joueur de hockey est reconnu coupable d’un crime à caractère sexuel. Il est condamné par la justice suédoise à payer une amende. Sa victime, dont la vie a été bouleversée, demeure sceptique devant ses trois lignes d’excuses par texto. Elle ne croit pas qu’il ait vraiment saisi la gravité de son comportement. Le joueur reconnaît lui-même qu’il a du chemin à faire. Il admet qu’il n’a pas montré suffisamment de maturité pour mériter le privilège d’être repêché par la Ligue nationale de hockey en 2021.

Que fait le Canadien ? Il le repêche quand même, quelques mois à peine après sa condamnation. Façon de dire à Logan Mailloux : « Bof ! Ne t’en fais pas. Ce n’est pas grave. »

Certains appellent ça une deuxième chance pour un jeune joueur prometteur. Ça m’apparaît plutôt être une deuxième chance pour la culture du viol, gracieuseté de la direction du Canadien de Montréal.

Près de quatre ans après l’électrochoc #moiaussi, force est de constater qu’il y a encore bien du chemin à faire pour que cette culture, qui banalise les violences sexuelles, soit éradiquée.

Tout se passe comme si les dirigeants du Canadien avaient passé les dernières années dans une grotte du boys club où on n’a jamais entendu parler du mouvement #moiaussi. Ceux qui ont osé critiquer la décision du CH ont aussi remarqué, devant la férocité des commentaires reçus, que les dirigeants ne sont visiblement pas seuls dans cette grotte.

Par un drôle de renversement des rôles, certains en arrivent même à croire que le joueur reconnu coupable d’un acte répréhensible serait finalement la vraie victime dans toute cette histoire. Il n’avait que 17 ans. Pendant une relation sexuelle avec une jeune femme, il a « juste » pris une photo explicite pour ensuite la distribuer sans son consentement à des coéquipiers pour les impressionner. Il a admis que c’était un geste « complètement stupide et irresponsable ». Il a dû payer une amende. Que diable veut-on de plus sept mois plus tard ? Du goudron et des plumes avec ça ?

Ce jeune homme a le droit à l’erreur. Le Canadien, non. Il doit être exemplaire, et pas juste sur la glace. Or, comme l’a fort bien expliqué mon collègue Philippe Cantin dimanche, repêcher Mailloux est une erreur de jugement.

Lisez la chronique de Philippe Cantin

Je ne suis pas une partisane du bûcher. Mais on s’entend que le privilège de faire partie d’une organisation aussi prestigieuse que le Canadien, avec le salaire et l’aura qui viendront avec, quelques mois après avoir été reconnu coupable d’un crime grave, n’est pas exactement ce qu’on peut appeler un bûcher. Le pire supplice, c’est d’abord celui que vivent encore de trop nombreuses victimes de crimes sexuels. Ce serait la moindre des choses qu’avant de pleurer sur la carrière prétendument gâchée d’un homme qui a porté atteinte à la dignité d’une femme, on ait la décence d’écouter ce que sa victime, qui devra vivre avec les conséquences de cet acte toute sa vie, a à dire.

Je crois à la réhabilitation. Mais ce que le CH réhabilite en déroulant ainsi le tapis rouge à Mailloux, c’est d’abord l’idée que la faute commise ne porte pas vraiment à conséquence. Le porte-parole de Québec solidaire Gabriel Nadeau-Dubois a bien résumé la dangereuse portée symbolique d’un tel message. « Le rêve de beaucoup de petits garçons est de jouer pour les Canadiens. En repêchant un jeune accusé d’un crime sexuel, le CH envoie un terrible message : vous pouvez dégrader les femmes et vous méritez encore votre place dans notre organisation. Les partisans méritent mieux. »

Le CH a beau enrober sa mauvaise décision dans une belle déclaration cousue de fil blanc, ses gestes parlent plus que ses mots. On ne peut à la fois dire que quelque chose est inacceptable et, du même coup, l’accepter.

La promesse du CH « d’accompagner » le jeune joueur dans son cheminement, alors qu’il n’est guère outillé pour le faire, n’est pas très convaincante. Car qu’est-ce que le CH connaît en la matière ? Visiblement pas grand-chose. Si les dirigeants n’ont même pas compris, à l’ère post-#moiaussi, que d’ouvrir si vite les bras à un joueur qui admet lui-même que c’est trop tôt, n’est pas une bonne idée, à quel genre d’introspection peut-on vraiment s’attendre ? On va accompagner le jeune joueur vers quoi, au juste ? Vers la grotte du boys club qui n’a jamais entendu parler de ce petit mouvement obscur appelé #moiaussi ?

La seule chose rassurante dans toute cette histoire, c’est que plusieurs voix se sont élevées depuis quatre jours pour décrier le choix irresponsable du CH.

À l’instar de nombreux partisans déçus et d’organismes de lutte contre les violences sexuelles, la ministre Isabelle Charest, responsable du loisir, du sport et de la Condition féminine, n’a pas caché sa surprise et sa déception. « Le choix de repêcher M. Mailloux ne va pas du tout dans le sens du changement de culture positif que je souhaite instaurer dans le milieu sportif et à l’échelle de la société », a-t-elle déclaré.

Comment le CH compte-t-il répondre aux nombreuses critiques et aux plaintes des partisans déçus ?

Ma demande d’entrevue à ce sujet a été suivie d’une réponse laconique.

« Rien de nouveau à ce sujet pour l’instant », m’a écrit par courriel Paul Wilson, vice-président principal, affaires et communications, du CH.

Comme si on attendait que la tempête passe et que l’on n’en parle plus.

Des sources bien informées hors de la grotte me disent que cela n’arrivera pas.

Go Habs Go ! Vous pouvez faire mieux.