(Ottawa) Le service de renseignement ont surveillé le mouvement nationaliste canadien dès les années 1960 et 1970 en examinant sa littérature, en ayant recours à des indicateurs et en surveillant prudemment les signes d’infiltration communiste.

Le service de sécurité de la GRC, dont la mission était de surveiller les éléments subversifs, a notamment suivi discrètement l’essor du Comité pour un Canada indépendant, craignant qu’il soit mûr pour « l’exploitation ou la manipulation » par les radicaux.

Le comité, qui comptait dans ses rangs de nombreuses personnalités politiques et culturelles, revendiquait un plus grand contrôle canadien dans les secteurs industriels, médiatiques et s’opposait à la forte influence américaine, particulièrement en politique étrangère.

La Presse Canadienne a utilisé la Loi sur l’accès à l’information pour obtenir le dossier constitué par la GRC comprenant quatre volumes et 538 pages sur le comité. Elle a aussi demandé et reçu un dossier sur une autre organisation précurseure qui avait été déposé à la Bibliothèque et Archives Canada.

Certains passages, bien que vieux de plus de 60 ans, n’ont pas été remis.

Le Service canadien du renseignement de sécurité, qui a assumé les fonctions de contre-subversion de la GRC en 1984, a transféré les documents aux Archives nationales, compte tenu de leur importance historique.

L’intérêt de la GRC a été éveillé au printemps 1960 par une réunion convoquée par l’écrivain Farley Mowat pour former ce qui allait devenir dix ans plus tard le Comité pour l’indépendance du Canada. Le mouvement naissant préconisait de sortir le Canada de l’OTAN et de réaffirmer le contrôle du pays sur son espace aérien et ses eaux territoriales.

En août 1960, la GRC avait ouvert un dossier sur le groupe. Un sergent supposait que le Parti communiste « devait certainement se réjouir » de cette évolution puisqu’il proposait des idées semblables. Toutefois, le corps policier n’a jamais découvert de renseignement permettant de croire que le groupe était d’inspiration communiste.

Un manifeste

L’inquiétude au sujet de la véritable indépendance du Canada a crû au fil des années.

Au début de 1970, Peter C. Newman, alors rédacteur en chef du Toronto Daily Star, l’ancien ministre libéral Walter Gordon et l’économiste Abe Rotstein ont eu l’idée de créer le Comité pour un Canada indépendant lors d’une réunion à l’hôtel King Edward de Toronto.

Dans un manifeste publié en septembre, le nouveau comité disait « être conscient » des avantages que le Canada retire de son voisinage avec la plus grande puissance au monde [les États-Unis] et refusait de fermer les frontières aux capitaux étrangers.

« Mais notre pays ne nous appartiendra plus longtemps encore, si nous continuons de vendre notre sol morceau par morceau à des étrangers, si nous permettons à une culture étrangère de dominer nos moyens d’information, si nous admettons que notre politique étrangère soit à la remorque de celle d’un autre pays », ajoutaient les auteurs du manifeste.

Un mois plus tard, un caporal de la GRC des services de sécurité affirmait, dans un rapport de deux pages, que la publicité faite au comité en faisait « une cible vulnérable pour la pénétration subversive ».

Pourtant les dirigeants du comité n’étaient pas nés de la dernière pluie et ne flirtaient pas avec la gauche ultra radicale. Walter Gordon était son président honoraire. Les deux coprésidents étaient l’éditeur Jack McClelland et l’influent directeur du Devoir, Claude Ryan.

Le comité directeur de l’organisation comprenait des dizaines de membres notables de l’intelligentsia canadienne, dont M. Mowat, l’écrivain Pierre Berton, l’éditeur Mel Hurtig, le poète Al Purdy, la rédactrice en chef du magazine Châtelaine Doris Anderson, les avocats Eddie Goodman et Judy LaMarsh (une autre ancienne ministre libérale), le militant syndical Eamon Park, et Flora MacDonald, peu de temps avant que celle devienne députée progressiste-conservatrice.

Une source dont le nom est masqué dans une note de service de mars 1971 a fourni à la GRC de la documentation du comité, y compris une lettre des coordonnateurs étudiants Gus Abols et Michael Adams.

Michael Adams, qui allait plus tard faire d’Environics Research Group une importante firme de sondage, garde de bons souvenirs de cette époque.

« C’était un groupe formidable, se souvient-il. Ses membres étaient incroyablement stimulants et utiles. »

Mais la GRC ne savait pas quoi en penser.

Un rapport d’août 1971 transmis au quartier général de la GRC indique que le comité avait adopté une position modérée, visant à convaincre la classe moyenne, plutôt qu’une approche plus radicale. Des éléments de la Nouvelle Gauche et du Parti communiste avaient manifesté de l’intérêt pour le comité, mais la GRC n’était au courant « d’aucun degré significatif d’influence ou de pénétration ».

Pourtant, elle a continué de surveiller le comité parce que ses objectifs et ses programmes « offrent un potentiel d’exploitation ou de manipulation par des groupes ou des individus de nature subversive ».

Une hypothèse ridicule, selon Stephen Azzi. Ce professeur de gestion politique à l’Université Carleton dit que le comité avait été formé pour empêcher le mouvement nationaliste de tomber entre les mains des communistes et de l’extrême gauche représentée par l’aile gauche du NPD.

« L’unité de renseignement de la GRC semblait être composée de personnes peu compétentes ayant peu de connaissances et souffrant d’une profonde paranoïa », juge-t-il.

La GRC a méticuleusement surveillé le comité tout au long des années 1970, rassemblant des articles de journaux et classant des mémos. Une source confidentielle a informé la police des plans pour une manifestation du groupe à Ottawa en janvier 1975, laissant entendre qu’elle rassemblerait « de 25 à 30 personnes au lieu des 60 prévues auparavant ».

À ce moment-là, le comité ne représentait plus une force puissante dans la vie publique canadienne de toute façon, raconte Stephen Azzi

Le premier ministre fédéral de l’époque, Pierre Trudeau, était ouvertement sceptique à l’égard du programme nationaliste, mais avait adroitement exploité le soutien au mouvement pour consolider son soutien électoral, en particulier dans le sud de l’Ontario, ajoute l’universitaire.

Plusieurs des mesures prônées par le comité ont été réalisées par le gouvernement fédéral comme la création de la société d’État Petro-Canada, la mise en place de l’Agence d’examen des investissements étrangers et de la Société de développement du Canada et l’instauration de nouvelles règles pour le contenu local diffusé sur les ondes.

De nombreux effets de ces politiques persistent aujourd’hui, rappelle Stephen Azzi. « Notre perception du Canada a été dans une large mesure façonnée au cours de cette période. »