Le Québec connaît un printemps particulièrement chaud. La pluie se fait rare et le niveau de plusieurs cours d’eau a rarement été aussi bas. Résultat : l’été n’est pas encore commencé que les producteurs agricoles font face à une sécheresse qui menace certaines récoltes, et les plaisanciers doivent jouer de prudence pour éviter le pire.

À peine remis d’un été particulièrement aride en 2020, Rémi Daignault, producteur laitier de Saint-Mathias, en Montérégie, doit encore affronter une sécheresse cette année, qui lui fait craindre le pire pour sa récolte de foin. Il n’est d’ailleurs pas le seul, puisque l’industrie laitière est la principale consommatrice de foin dans la province.

« La saison a quand même bien commencé, on a pu faire la première coupe de foin, même si le rendement a été décevant. Mais là, depuis deux ou trois semaines, ça a ralenti considérablement. On n’a presque pas eu de pluie, le foin ne pousse pas. C’est tellement sec, j’ai des craques d’un pouce de large dans mes champs. »

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« C’est tellement sec, j’ai des craques d’un pouce de large dans mes champs », explique Rémi Daignault.

« Je n’ai jamais vu ça, une sécheresse comme ça en début de saison, renchérit Nicolas Mailloux, producteur laitier de Granby, qui récolte lui aussi son foin pour son troupeau. C’est vraiment extrême. Ça prendrait une semaine de pluie pour en venir en bout. »

Les déficits en précipitations sont tels, cependant, qu’il sera difficile de les combler d’ici la fin de l’été, signale Simon Legault, météorologue à Environnement Canada. « Pour les deux derniers mois, on a reçu entre 100 et 150 mm de pluie en moins que les moyennes habituelles. Ce n’est pas un record, mais on est très loin des normales. »

11,6 mm

Quantité de pluie tombée pendant tout le mois de mai à la station météorologique de l’aéroport Montréal-Trudeau. En moyenne, la station enregistre 81,2 mm de précipitations pendant ce mois, selon Environnement Canada.

Les deux hommes craignent le pire pour les coupes à venir. L’été dernier, ils ont dû acheter du foin pour combler leurs pertes. Ils craignent une autre saison difficile qui pourrait encore faire augmenter leurs coûts. « Ç’a été une année difficile, reconnaît Nicolas Mailloux. Le coût de mes intrants a doublé. J’ai dû acheter pour 50 000 $ de foin l’an dernier alors que d’habitude, je suis aussi vendeur. »

Pour les producteurs, une sécheresse fait d’autant plus mal qu’elle ne signifie pas seulement une baisse des volumes de foin récoltés, mais aussi un fourrage de moins bonne qualité pour les bêtes. D’autres agriculteurs consultés par La Presse s’attendent eux aussi à de moins bonnes récoltes pour le maïs et le soja en raison de la sécheresse.

Le niveau du Saint-Laurent à la baisse

Le niveau du fleuve Saint-Laurent semble plus bas que d’habitude. Ce n’est pas un mirage. À la station hydrométrique de Lanoraie, par exemple, le niveau est passé de 4,45 mètres à 4,19 mètres entre le 1er et le 7 juin. À la marina de Longueuil, un membre du personnel confirme qu’on a bien remarqué un niveau plus bas que la normale pour cette période de l’année.

Le Conseil international du lac Ontario et du fleuve Saint-Laurent a fait la même constatation. Deux rencontres virtuelles d’information sont d’ailleurs prévues, les 15 et 17 juin, « au sujet des niveaux d’eau qui sont actuellement inférieurs à leur moyenne dans l’ensemble du réseau hydrographique ». Le Conseil indique avoir reçu plusieurs commentaires du public à ce sujet.

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La rivière des Prairies

Le 29 mai dernier, l’organisme qui gère le débit sortant du lac Ontario vers le fleuve Saint-Laurent a autorisé une modification au débit après qu’on a constaté que le niveau du lac n’avait augmenté que de 2 cm en mai alors que la hausse est habituellement de 9 cm. Il faut dire que les 12 mois précédents ont été les plus secs observés dans la région depuis 1966. Résultat : des conditions hydrométriques « anormalement » sèches ont été observées, forçant les autorités à ralentir le débit sortant.

Les experts s’attendent par ailleurs à ce que le niveau du Saint-Laurent soit inférieur à la moyenne cet été.

Le Port de Montréal dit suivre la situation de près, signale sa porte-parole, Mélanie Nadeau. « L’hiver 2020-2021 a été doux, et la faible accumulation de neige a occasionné une faible crue printanière. Le tout doublé d’un mois de mai historiquement chaud et sec. Les niveaux d’eau de juin sont donc sous le niveau moyen à cette période de l’année. » Toutefois, le niveau actuel est légèrement supérieur à celui qui est attendu par les clients du port.

Un défi pour les plaisanciers

Au lac Taureau, dans Lanaudière, la municipalité de Saint-Michel-des-Saints a été contrainte de fermer jusqu’à nouvel ordre ses quatre rampes de mise à l’eau, faute d’un niveau d’eau suffisant. Le lac est en fait un réservoir pour le barrage Matawin, dont le niveau d’eau est régulé par Hydro-Québec. « Ils ont fermé les vannes le 1er avril, et je ne me rappelle pas avoir vu le niveau aussi bas, constate le maire Réjean Gouin. C’est sûr que ce n’est pas drôle pour les plaisanciers, mais il faut apprendre à vivre avec la nature. »

Près de Montréal, le niveau du lac Saint-Louis est présentement 70 cm au-dessus du zéro des cartes. « Normalement, à cette période de l’année, on serait à environ 1,20 m au-dessus des cartes », souligne l’instructeur de voile Pierre Ricard, propriétaire de l’école Voile 4 vents.

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Un quai privé sur la rivière des Prairies, en aval du lac des Deux Montagnes

Il risque d’y avoir plusieurs plaisanciers qui vont se planter sur le lac des Deux Montagnes. Son niveau d’eau est plus bas. Il n’est pas autant régulé que le lac Saint-Louis, qui est alimenté par le fleuve.

Pierre Ricard, propriétaire de l’école Voile 4 vents

« Si la situation perdure, j’ai bien peur que ça devienne pénible pour les grosses marinas plus en amont, vers Ottawa, notamment au lac Aylmer », ajoute M. Ricard.

Déjà, au cours des deux derniers week-ends, la Garde côtière a dû venir en aide à quelques plaisanciers qui se sont échoués sur des roches sur le lac Saint-Louis et sur le lac des Deux Montagnes. « Il va falloir que les gens lisent leurs cartes marines, affirme Pierre Ricard. C’est bien de se fier au GPS, mais les bonnes vieilles cartes sont à mon avis plus précises. »

De plus en plus de plaisanciers utilisent des applications de navigation sur téléphone cellulaire ou tablette, comme Navionics, qui décrivent les fonds marins à partir de données qu’elles extrapolent des données hydrographiques officielles. Mais ces interprétations peuvent parfois cacher des surprises.

Avec Tristan Péloquin, La Presse

Une correction a été apportée à ce texte après publication afin de corriger une erreur dans le nom de M. Rémi Daignault.

Consultez le suivi hydrologique de différentes stations hydrométriques du Québec

Niveau d’eau du lac des Deux Montagnes

(Données enregistrées à Pointe-Calumet)

6 juin 2021 : 21,43 m

Minimum* : 21,41 m

Médiane* : 22,27 m

*Période de référence : de 1986 à 2020