Camille Laurin aura une promenade piétonne dans l’arrondissement d’Outremont, mais il s’en est fallu de peu. C’est que, voyez-vous, le père de la loi 101 a bien failli être victime du dernier accès de wokisme de Valérie Plante.

Enfin, c’est ce que vous croyez sans doute, à ce stade-ci de ce qui est devenu l’affaire Camille Laurin.

Je résume, pour ceux qui n’ont pas lu les six chroniques publiées à ce sujet depuis samedi dans Le Journal de Montréal : l’arrondissement d’Outremont a proposé qu’une voie piétonne, située au nouveau campus MIL de l’Université de Montréal, honore la mémoire du DCamille Laurin, psychiatre, professeur, ministre péquiste et, surtout, architecte de la Charte de la langue française.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

La promenade du campus MIL de l’Université de Montréal. Cette promenade piétonne relie la place Alice-Girard vers le parc Pierre-Dansereau via l’ancienne voie ferroviaire.

Mais voilà, la mairesse Plante, a-t-on appris dans Le Journal, lui a refusé cet hommage. « Raison invoquée pour justifier l’insulte : C’EST UN HOMME BLANC », a écrit Normand Lester. « Hommes blancs interdits à Montréal ? », s’est demandé Richard Martineau.

« La Ville de Montréal refuse de rendre hommage au père de la loi 101 Camille Laurin parce que c’est un homme blanc, s’est désolé Benoit Dutrizac sur les ondes de QUB radio. C’est simple. C’est tout. C’est tout ce qu’il y a à dire. »

Alors, l’affaire est entendue ? Il n’y a plus rien à dire ?

Pas selon l’entourage de Valérie Plante, qui jure que cette « affaire » n’en est tout simplement pas une.

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Le 27 mars 2019, le comité de toponymie de la Ville de Montréal a recommandé de rejeter la demande de l’arrondissement d’Outremont.

« L’arrondissement propose le nom de Camille Laurin pour cette promenade, mais ce nom est déjà attribué dans l’arrondissement de Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles », lit-on dans le compte rendu de la réunion.

IMAGE FOURNIE PAR LE COMITÉ DE TOPONYMIE DE LA VILLE DE MONTRÉAL

Extrait du compte rendu

Depuis 2002, donc, il existe une rue Camille-Laurin à Montréal. C’est la seule raison pour laquelle le comité a recommandé de rejeter la proposition. Il n’y en a pas d’autre, dans le compte rendu.

Pas la moindre évocation de l’abominable homme blanc.

« Le problème, c’était vraiment le fait qu’il y avait un doublon, se souvient la présidente du comité, Marie Lessard, professeure émérite à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal. C’est la première règle à appliquer [en toponymie] en vue d’éviter de la confusion. »

La première règle, donc. Quand une voie publique porte un nom dans une municipalité, on n’en baptise pas une autre du même nom. On passe à autre chose. C’est simple.

Trop simple, on dirait, pour certains.

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Au moins deux chroniqueurs du Journal ont spéculé sur la profondeur de l’inculture de ceux qui ont décidé de rejeter la proposition de l’arrondissement d’Outremont.

Ils ont supputé que ces gens-là devaient être fichtrement ignorants, incultes ou amnésiques pour refuser d’honorer le grand Camille Laurin avec un petit bout de trottoir.

Qu’ils se rassurent : outre Mme Lessard, une sommité en urbanisme, le comité de toponymie regroupe des historiens de renom, dont Paul-André Linteau, considéré comme l’un des fondateurs de l’histoire contemporaine du Québec.

Je le soupçonne d’en connaître un bout sur Camille Laurin. Pourtant, M. Linteau a recommandé de rejeter la proposition d’Outremont. Pas à cause des pressions d’une administration ultra-woke. À cause d’une règle de base en toponymie.

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Vrai, c’est le conseil municipal qui adopte les nouveaux noms de lieux à Montréal. Mais les élus évitent la plupart du temps ces paniers de crabes. Ils se contentent de suivre les recommandations du comité de toponymie.

Bien sûr, il y a des exceptions. Valérie Plante s’est mêlée du changement de nom de la rue Amherst pour Atateken, ainsi que du choix du nom de la station du REM Griffintown–Bernard-Landry (pas très woke de sa part, on en conviendra).

Mais de la promenade du campus MIL, Valérie Plante n’en avait jamais entendu parler avant samedi, m’ont affirmé de nombreux collaborateurs de la mairesse.

C’est une chronique signée Denise Bombardier, dans Le Journal de Montréal, qui a tout déclenché. Elle soutenait qu’une « fin de non-recevoir [avait] été envoyée à l’arrondissement d’Outremont par le bureau de la mairesse ».

C’est faux, rétorque le maire d’Outremont, Philipe Tomlinson. Il affirme n’avoir jamais eu de correspondance au sujet de la promenade avec le bureau de la mairesse.

On n’a pas eu de communication avec eux. S’il fallait que chaque nomination passe systématiquement entre les mains de la mairesse, on n’aurait pas fini !

Philipe Tomlinson, maire d’Outremont

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Dans sa chronique, Mme Bombardier écrit que la fin de non-recevoir du bureau de la mairesse est accompagnée d’une mention : la demande ne permettait pas « d’intégrer des femmes et des représentants de minorités culturelles et ethniques ».

Ce passage, interprété comme un refus d’honorer Camille Laurin en raison de son statut d’homme blanc, provient non pas du bureau de la mairesse, mais d’un courriel adressé en janvier 2021 au président de la société d’histoire d’Outremont par Valérie Patreau, une conseillère d’arrondissement d’Outremont.

Dans son courriel, Mme Patreau propose à la société d’histoire « d’intégrer des critères de parité et d’inclusion des minorités dans le choix des noms » soumis par l’organisme pour nommer de nouvelles rues du quartier. Il y en a toute une liste.

Mme Patreau n’écrit nulle part qu’il faut retirer le nom de Camille Laurin de cette liste.

Et pour cause : l’arrondissement d’Outremont espérait toujours que la promenade soit nommée Camille-Laurin. Vu l’importance du personnage, le maire Tomlinson et son équipe pensaient encore pouvoir convaincre le conseil municipal, malgré la recommandation du comité de toponymie. « Nous n’avons jamais enlevé le nom de notre liste. »

Et ils n’ont jamais essuyé de refus de la ville-centre.

Denise Bombardier a refusé de me confirmer si le passage cité dans sa chronique provenait du courriel de la conseillère d’arrondissement d’Outremont et non du bureau de la mairesse. Comme moi, elle est chroniqueuse, a-t-elle fait valoir. Et la rédaction d’une chronique, « ce n’est pas un procès en cour où on cherche la vérité absolue ».

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Montréal compte près de 6000 voies, parcs et bâtiments déjà nommés. Les nouveaux espaces à désigner sont rares ; seuls 25 toponymes sont attribués par année. Or, la Ville possède une banque de 800 noms en attente d’attribution.

Ça fait beaucoup de monde en file pour être immortalisé sur une plaque ou un panneau de rue.

Les « Camille-Laurin » de Montréal
  • L’édifice Camille-Laurin et son buste de bronze, situé au 125, rue Sherbrooke Ouest

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    L’édifice Camille-Laurin et son buste de bronze, situé au 125, rue Sherbrooke Ouest

  • Un panneau signalétique pour la minuscule rue Camille-Laurin dans Pointe-aux-Trembles

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Un panneau signalétique pour la minuscule rue Camille-Laurin dans Pointe-aux-Trembles

  • Devanture de l’école Camille-Laurin, au 8000, avenue de l’Épée

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    Devanture de l’école Camille-Laurin, au 8000, avenue de l’Épée

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À Montréal, il y a déjà l’école Camille-Laurin, dans Parc-Extension ; l’édifice Camille-Laurin, rue Sherbrooke, qui abrite l’Office québécois de la langue française ; et, bien sûr, la rue Camille-Laurin, à Pointe-aux-Trembles.

La présidente du comité de toponymie, Marie Lessard, s’explique mal comment ce « petit bout de rue » a pu être nommé Camille-Laurin en 2002. « On est très sensible, et le politique aussi, à nommer des rues à la hauteur des personnes. »

Manifestement, quelqu’un l’a échappé à l’époque. Camille Laurin mérite mieux que ce cul-de-sac.

Mardi, Valérie Plante a annoncé que la promenade d’Outremont serait nommée Camille-Laurin, puisque « malgré le principe toponymique voulant éviter les doubles désignations, on évite la confusion dans ce cas-ci puisque la voie ne comporte pas d’adresse ».

Le grand homme mérite sans doute mieux, aussi, qu’une promenade de 300 mètres. Mais il fallait bien faire un geste pour apaiser ceux qui s’étouffent d’indignation devant la papesse du wokisme « refusant » obstinément d’honorer la mémoire d’un homme blanc.

Et même si les faits, dans cette affaire, sont secondaires.