Les enseignants qui sont en négociation avec l’État ont sorti l’artillerie lourde dans l’arsenal des moyens de pression la semaine dernière, Mesdames et Messieurs…

Ils ont débrayé pendant 90 minutes1 !

On ne rit plus. C’est sérieux, cette fois.

Je déconne, bien évidemment. Un débrayage qui retarde le début d’une journée d’école de 90 minutes, c’est doux comme du coton, l’équivalent syndical d’affronter des tanks avec la cavalerie. Or, c’est ce qu’ont fait des enseignantes mercredi, en choisissant de débrayer de nuit (!), jusqu’au matin. Elles ont ainsi privé les élèves de quelques minutes de classe2.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Enseignantes en grève, le 14 avril dernier

Mais ce fut encore trop pour des hordes de parents fâchés d’un bout à l’autre du Québec. On a encore entendu les jérémiades habituelles sur le fait que les-profs-ont-deux-mois-de-vacances-par-année de ceux qui mettent l’école sur le même pied qu’un camp de jour : un service qui garde les enfants pendant que les parents gagnent leur croûte. J’ai même lu dans la constellation de mes amis Facebook un bon « Va ch… » destiné aux profs.

J’ai mille fois dénoncé le peu d’égards faits à l’école dans notre société. Une société où 50 % des citoyens souffrent d’une forme ou d’une autre d’analphabétisme est une société qui se contrefiche de ses écoles. L’irritation des parents devant 90 minutes de débrayage est un symptôme de ce mal.

Quand ils veulent signifier leur ras-le-bol, d’autres corps de métier ne font pas de moyens de pression enrobés de coton, je pense qu’il faut le rappeler : des pompiers ont déjà crevé des boyaux d’arrosage pour se faire entendre, des policiers ont arrêté de donner des tickets (avec un effet délétère sur la discipline des automobilistes), des employés municipaux ont cessé de ramasser les déchets et des médecins ont déjà fait du chantage au déménagement.

Les profs ?

Les profs portent des t-shirts revendicateurs et elles disent des jours à l’avance que le mercredi 14, elles vont commencer la journée (un peu) en retard. Et elles sont, pour ça, accusées de « prendre les enfants en otage », autre accusation qui a circulé la semaine passée.

L’école québécoise est malade. Quand elle ne donne pas des diplômes au rabais, elle produit des analphabètes (diplômés ou pas) tout en épuisant ses profs : un enseignant sur cinq va quitter cette super-profession-qui-donne-deux-mois-de-vacances-par-année avant le seuil des cinq années d’expérience…

Nous devrions être furieux de cette réalité, furieux en permanence. Furieux contre l’État, furieux contre la négligence qui s’est étalée sur des décennies, sur des années de compressions et de sous-investissements péquistes et libéraux.

Les ratés de l’école sont tragiques, tangibles. Les ratés de l’école créent de la pauvreté matérielle et culturelle. Les ratés de l’école créent de la pénurie de main-d’œuvre et des inégalités. Les ratés de l’école créent des gens qui ne savent pas distinguer le vrai du faux, qui deviennent diplômés de l’Université YouTube de la Vie.

Les profs ne sont pas responsables de ça. Ils ne devraient jamais se faire blâmer de vouloir corriger ça, par leurs moyens de pression qui sont bien doux, dans le grand ordre des choses. Les enseignantes ne sont pas le mal de l’école.

Que demandent les profs, depuis des années ? Elles demandent les moyens de bien enseigner. C’est quoi, les moyens de bien enseigner ? C’est ne pas avoir huit (ou neuf, ou dix) élèves avec des difficultés d’apprentissage dans une classe, sans aucun soutien. C’est quoi, du « soutien » ? C’est pouvoir compter sur des orthopédagogues, des orthophonistes et de techniciennes en éducation spécialisée pour soutenir les profs, en classe.

Devinez où les gouvernements ont coupé, quand il fallait que l’école crache quelques centaines de millions au nom de l’équilibre budgétaire, sous les gouvernements péquistes et libéraux ? Ben oui, dans le soutien, dans ce que les écoles appellent « les services ». Ça ne paraît pas, sur le coup. Ça paraît à long terme, dans l’analphabétisme relatif de la moitié d’entre nous.

Résultat : quand les centres de services scolaires, désormais, affichent des postes d’orthopédagogue, ces postes restent souvent non pourvus. Les orthopédagogues préfèrent pratiquer en cabinet, au privé… Ce qui accentue encore les inégalités.

Ça fait des années que je couvre l’éducation. Ça fait des années que les profs sont à bout de souffle et qu’ils décrochent3. Mais depuis un an, les messages de profs à bout de souffle se multiplient à un rythme inquiétant4… Malgré les conditions de travail supposément dorées qui sont les leurs, dans un certain imaginaire collectif.

Et là, pour 90 minutes de grève, elles récoltent encore du mépris. C’est encore trop, pour beaucoup de parents.

On a les indignations – et les écoles – qu’on mérite.

1. « 73 000 enseignants envoient un coup de semonce à Québec », La Presse Canadienne, 14 avril 2021

2. « La FAE s’entend avec Québec », La Presse Canadienne, 15 avril 2021

3. « Le défi du décrochage… chez les profs ! », La Tribune, 4 septembre 2020

4. La chronique de Patrick Lagacé « Si l’école était importante (16) », 14 janvier 2021