Seulement l’an dernier, Sylvain a été arrêté neuf fois à Saint-Jérôme dans un parc. L’infraction : ivresse dans un lieu public. L’amende : 500 $, plus les frais (149 $). Pour un total de 5841 $. Plus d’autres frais.

Ça, c’est pour Saint-Jérôme.

Le problème, c’est qu’au degré d’alcoolisme où il en est, il ne se souvient pas vraiment qu’il a été arrêté, la date de sa convocation devant le juge, ce qu’il a fait avant et après…

Enfin, « le problème », pardon, un des problèmes. Parce qu’aussi, Sylvain est schizophrène. Plus ou moins traité selon les jours.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

À la suite de l’injonction de la Cour supérieure, le gouvernement Legault a annoncé mercredi que le couvre-feu ne s’appliquerait plus aux sans-abri.

Quand il a des problèmes à Saint-Jérôme, et on vient de voir qu’il en a pas mal, il vient à Montréal. Les troubles sont au rendez-vous là aussi. Il va à Sainte-Thérèse. Puis à Deux-Montagnes. Et Montréal encore. Un genre de tournée régionale.

Et à la fin, en ce moment, Sylvain se retrouve avec une dette judiciaire de 40 000 $ au bas mot. Avec un chèque d’aide sociale de 740 $ par mois, c’est un peu malaisé de rembourser l’État.

Alors, comme d’autres, il reprend sa tournée, ne se présente pas à la cour, des mandats d’arrêt sont manufacturés, il se fait arrêter, se fait mettre « en dedans » parce qu’il est « défaut mandat », relâché parce qu’il n’est pas un criminel dangereux, et on remet ça…

C’est ce même Sylvain qu’on arrête début janvier pour violation du couvre-feu à Montréal. La fameuse contravention de 1500 $.

Vous me direz : que faisait-il dehors, quand on a ouvert des refuges d’urgence ? Je pourrais vous dire que bien des endroits débordent. Mais en fait, quand on ne respecte pas les « règles de vie », qu’on est trop saoul, qu’on boit, qu’on crie, on vous met à la porte des refuges.

Je ne suis certainement pas en train de critiquer ces politiques de vivre-ensemble minimal.

J’essaie de vous dire qui est assez fou pour être dehors par une nuit froide de janvier à Montréal pendant un couvre-feu.

Qui ? Sylvain.

J’en entends qui me disent : qu’il se prenne en main, qu’il arrête de boire, qu’il prenne ses médicaments !

Ce à quoi je réponds : mettons que vous ayez raison. Mettons que c’est aussi simple que vous le pensez. Envoye, mon vieux, prends-toi en main !

En attendant, est-ce une politique le moindrement intelligente de donner un « ticket » de 1500 $ à un gars malade, alcoolique au dernier degré, endetté devant toutes les cours du 450 et du 514 ? Ça aide qui ? Ça protège quoi ? C’est quoi, l’idée ? Un message au coronavirus et à toutes les bactéries qui seraient tentées de l’imiter et de troubler la paix ?

Non seulement ce gars est « barré » de tous les refuges, mais il capote à l’idée même de se retrouver en groupe dans un refuge. Alors il sort… il erre… Et maintenant qu’il y a un couvre-feu, et qu’il s’est fait pogner une fois, il va à Sainte-Thérèse… Ben chaud, évidemment, se fait arrêter… Et un autre beau ticket de 1500 $ donné par le policier. Plus une nuit en prison.

Tiens, COVID, dans les dents !

***

Au nombre de fois où j’ai dénoncé les lenteurs de la justice, permettez que je louange la juge Chantal Masse de la Cour supérieure. La demande d’injonction de la Clinique juridique itinérante a été plaidée lundi matin. Le jugement était rendu mardi.

Un jugement qui ne se prononce pas sur le fond, sur la question de savoir si le décret de couvre-feu est injuste envers les personnes sans domicile fixe. Mais un jugement qui suspend le couvre-feu à leur endroit pour 10 jours, tant les questions en jeu sont sérieuses, la situation grave et l’affaire urgente.

Tout le monde a compris que le gouvernement allait aussi perdre sur le fond une semaine plus tard. Et mercredi matin, le ministre Lionel Carmant a annoncé que le gouvernement du Québec n’allait pas contester cette injonction plus longtemps. Les « personnes en situation d’itinérance » sont ajoutées à la liste des exemptés du couvre-feu, avec les travailleurs essentiels, les gens en route vers la pharmacie, les promeneurs de chiens en train de déféquer.

La question se pose tout de même encore : pourquoi, même après que Raphael André a été retrouvé mort caché dans une toilette chimique, le gouvernement Legault s’est-il obstiné à ne pas faire cette petite exemption ? Pourquoi a-t-il fallu qu’un organisme communautaire pauvre comme Job se rende à la cour supplier la justice ? Encore heureux qu’il y ait les tribunaux, et surtout des gens qui s’occupent de ceux qui sont les sans-abri des sans-abri…

D’après Radio-Canada, le ministre Lionel Carmant était pour l’exemption depuis le début. Mais la ministre Geneviève Guilbault, de la Sécurité publique, était contre. La loi, c’est la loi, c’est ça ?

Jugez qui vous voudrez. Jugez les gens tant que vous voudrez. Ça donne quoi d’imposer ce genre de job aux policiers, qui ont mieux à faire ? De créer des dossiers ? Et d’autres dossiers qui occuperont des cours déjà débordées ?

Donald Tremblay, de la Clinique juridique itinérante, connaît 10 personnes ayant reçu au moins une contravention de 1500 $. Pour quoi faire exactement ?

Il y a des programmes à Montréal pour effacer les amendes, il y a des programmes de travaux communautaires, ici et là. Mais la gestion de l’itinérance et de la maladie mentale par les « tickets », avec ou sans pandémie, c’est une roue judiciaire qui tourne à vide, c’est inefficace, et, comme allait le dire la cour, c’est injuste.