Dans le quartier Saint-Michel, à Montréal, les proxénètes rôdent autour des écoles primaires et des magasins pour recruter des enfants.

C’est ce qu’a expliqué lundi Marjorie Villefranche, directrice générale de la Maison d’Haïti, à la Commission spéciale sur l’exploitation sexuelle des mineurs.

Si c’est beaucoup sur les réseaux sociaux que le recrutement de victimes adolescentes se fait, les enfants, eux, sont ciblés en personne.

Quand les réfugiés du chemin Roxham ont été hébergés temporairement au Stade olympique en 2017, a poursuivi Mme Villefranche, les intervenants de la Maison d’Haïti disent avoir aussi observé et recueilli des témoignages de réfugiés qui ont été la cible de recruteurs flairant le bon filon, celui de la vulnérabilité et de la pauvreté.

À la Commission spéciale qui s’est arrêtée à Montréal lundi, sexologues, intervenants communautaires et médecins ont été nombreux à réclamer des lois plus sévères contre la traite de personnes. On a aussi largement réclamé des cours de sexualité débutant dès la maternelle et qui se poursuivent jusqu’à la fin du secondaire.

Pour la Dre Franziska Baltzer, qui travaille en médecine de l’adolescence à l’Hôpital de Montréal pour enfants, « l’exploitation sexuelle n’est pas un fait isolé », mais le fruit d’une perte de repères dans une société qui donne dans une hypersexualisation malsaine dès le plus jeune âge.

Pascale Philibert, spécialiste de la lutte contre l’exploitation sexuelle au Centre jeunesse de la Montérégie, a aussi parlé de ces jeunes filles qui, « souvent exposées à de la pornographie très hard », ne reconnaissent pas qu’elles sont victimes d’exploitation sexuelle. « C’est très long avant qu’elles y arrivent », a-t-elle dit.

Non seulement y a-t-il normalisation des rapports sexuels violents, mais en plus « les jeunes filles sont presque fières d’être dans des relations violentes », a-t-elle ajouté.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

De gauche à droite, les députés libéraux Christine St-Pierre, Kathleen Weil et Frantz Benjamin et la députée indépendante Catherine Fournier

La police de Longueuil, qui a aussi fait une présentation, a relevé à quel point il est difficile dans ce contexte de procéder à des arrestations. Difficile, mais pas impossible : grâce à des techniques d’enquête qui se raffinent, un homme a été reconnu coupable il y a quelques semaines bien que sa victime n’ait jamais voulu collaborer.

Un discours normalisateur à bannir

Le Québec et le Canada s’enlisent dans un discours qui normalise la prostitution, « cette pratique inégalitaire, raciste et qui s’abreuve à la pauvreté des femmes », a renchéri Diane Matte, fondatrice de la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle, qui interpelle les gouvernements québécois et canadien pour qu’ils s’attaquent de front à la prostitution une fois pour toutes.

Comme société, on a accepté qu’il est correct que des hommes achètent des services sexuels.

Diane Matte, fondatrice de la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle

Il faut au contraire tout faire pour contrer « une industrie multimilliardaire [à l’échelle de la planète] qui veut nous faire croire qu’elle est une industrie comme une autre ».

À une commissaire qui lui faisait remarquer que des gens ont un avis contraire, que la lutte contre la prostitution ne fait pas consensus, Mme Matte a répondu que pour elle, l’heure n’est plus au débat, mais à un choix de société clair. « On doit dire non à la marchandisation de la sexualité des femmes. »

Le Québec, a noté Mme Matte, est la seule province à avoir clairement établi en toutes lettres en 2006 que « la prostitution est une violence envers les femmes ». Le Code criminel interdit aussi la prostitution.

Mais sur le terrain, la loi est beaucoup trop timidement mise en application comparativement à un nombre grandissant de pays comme l’Islande, la Norvège, la Suède et la France, pour qui « l’achat d’actes sexuels est contraire à une société égalitaire ».

Pendant ce temps, au Québec, les municipalités n’ont aucune prise, par exemple, pour éviter qu’un salon de massage ouvre ses portes sur leur territoire. Il suffit de demander un « permis pour soins personnels », a signalé Mme Matte.

Bien sûr, la prostitution passe de plus en plus par les réseaux sociaux et non par des commerces ayant pignon sur rue. La prostitution prolifère aussi lors de grands événements (le Grand Prix du Canada est souvent montré du doigt).

Les gouvernements qui les subventionnent exigent des organisateurs une panoplie de mesures de sécurité.

« La lutte contre l’exploitation sexuelle pourrait faire partie du cahier de charges. Ce serait là un signal très fort que le gouvernement pourrait envoyer », a réclamé Mélanie Thivierge, présidente et directrice générale du Y des Femmes.