Si on n’était pas canadiens, on ne serait probablement pas si gênés d’admirer ce pays.

On ne le fête pas trop au Québec. On le nomme à peine. On rit beaucoup de Jean Chrétien, qui parlait sans cesse du (il n’a pas dit « plus », mais c’est comme si) « meilleur pays au monde ».

Mais pour peu qu’on le compare aux autres sur cette planète-ci (ça se chuchote à peine, ce que je vais dire, quand on est le moindrement nationaliste), eh bien, ce pays est beaucoup mieux que pas pire.

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

« Quand on y pense le moindrement, malgré tout ce qu’on doit lui reprocher, il est plutôt très bien, ce Canada », écrit notre chroniqueur. 

Si l’on était moldaves, mettons, et qu’on se renseignait sur le niveau de vie, l’accès à l’égalité, les libertés publiques, le filet de sécurité sociale, l’intégrité des fonctionnaires et des élus, l’indépendance des magistrats, l’esprit des forces armées, l’accès aux soins de santé, la qualité de l’air et la présence d’animaux sauvages dangereux, parmi tous les membres des Nations unies, on se dirait : « Coudonc, c’est un des endroits très, très décents au monde. » Ceci en tenant pour acquis que, comme tout le monde, les Moldaves en ont un peu marre du « modèle scandinave ».

Ce sont des opinions qu’entre fiers Québécois de souche, ou, comme certains disent maintenant parfois, de la « majorité historique francophone », on garde par-devers soi. On est Québécois de cœur, Canadien de droit, qu’on veuille y rester ou en sortir.

Aussi, quelle surprise d’apercevoir dans le sondage de Jean-Marc Léger mercredi cette donnée qui l’a surpris lui-même : 80 % des Québécois sont « fiers d’être Canadiens ».

C’est comme il se doit le plus faible pourcentage au Canada. Cela varie ailleurs au Canada de 89 % à 97 %, du moins si on découpe le pays par provinces – il faudrait voir ce qu’on en dit au Nunavik.

N’empêche, c’est assez énorme, 80 %.

La proportion la plus forte au Québec depuis 35 ans, a dit le sondeur sur Twitter hier. J’ai retrouvé un sondage de 2018 qui arrivait au même résultat, mais une chose est sûre, la fierté canadienne est allée en montant au Québec.

C’est encore ici le seul endroit au Canada – et de loin – où l’on s’identifie d’abord comme des « Québécois » (39 %), et non pas comme des « Ontariens », des « Albertains », etc. Mais ceux qui s’identifient d’abord comme des Canadiens, additionnés à ceux qui s’identifient « autant » comme des Québécois que comme des Canadiens, plus ceux qui se définissent « uniquement » comme des Canadiens composent un autre bloc de 52 %.

Plus intéressant, même quand on se dit avant tout « Québécois » : la vaste majorité est « fière » de faire partie de ce pays compliqué et apparemment impossible.

Huit sur dix !

Gilles Duceppe avait bien saisi cet apparent paradoxe. Il a rapidement cessé de plaider pour la souveraineté du Québec « contre » le Canada. C’est un pays très bien, le Canada, disait-il. Simplement, on veut gérer le nôtre, si je peux le paraphraser.

On peut remonter à René Lévesque et au concept de souveraineté-association : l’autonomie nationale, mais avec en partage ce que le Canada a de mieux. Même au référendum de 1995, il a fallu faire entrer dans l’équation le père politique improbable de François Legault : Mario Dumont. Une sorte d’entente était sur la table, proposée par Lucien Bouchard, sans laquelle le OUI n’aurait pas atteint la presque victoire. Les discours hargneux contre le Canada, la mise en relief des extrémistes ou des extrêmes-cons Canadians a toujours fait recette dans un certain public. Mais à tout prendre, quoi qu’on fasse, quoi qu’on dise, on sait qu’on est plus canadiens qu’on ne le proclame, même dans les cercles les plus nationalistes. Une sorte de culture politique profonde est en partage, un rapport au reste du monde aussi.

Bref, s’ils ne le connaissent pas trop bien, s’ils ne s’y reconnaissent pas culturellement, les Québécois… aiment le Canada.

Oui. Aimer.

On en connaît les défauts, les failles, les injustices passées et présentes. On en a fait des commissions et des rapports. Ça aussi, c’est un trait canadien : l’examen incessant de ses fautes passées, l’horreur des pensionnats autochtones, les excuses officielles du gouvernement, conservateur comme libéral. Ce retour pénible sur le passé, même si l’action et la réparation ne sont pas à la hauteur, ce n’est pas le fait de tous les pays. Le gouvernement turc ne veut pas reconnaître le génocide arménien. Le président des États-Unis ne veut pas démanteler les symboles de la suprématie blanche.

Justement, chez nos voisins, si fiers de leur drapeau, la « fierté » d’être américain atteint seulement 74 %, selon le même sondeur. Quoi ? Ce Québec rétif est en général plus fier du Canada que les Américains des États-Unis ?

Sans doute Donald Trump ne nuit-il pas à ce sentiment. C’est un effet de contraste qui fait bien paraître Justin Trudeau. On pourrait dire qu’il est pour lui un président providentiel.

Mais ce sentiment de « fierté » avouée-inavouable dans un sondage est bien plus profond.

Ça me fait bien rire quand je lis qu’on ne sera « jamais » canadiens – un mot québécois, en plus. On l’est bien plus qu’on ne se le dit. C’est normal. On cultive le sentiment national québécois. On le fait vibrer.

Mais quand on y pense le moindrement, malgré tout ce qu’on doit lui reprocher, il est plutôt très bien, ce Canada.

Et si, comme disait Bourassa, on est « libres » de notre destin, ce pays, c’est… le nôtre.